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La vie avant le mariage

Ils ont toujours voulu se marier, mais il fallait avoir les moyens pour le faire. Alors qu’ils venaient juste de commencer à travailler. Notre mariage devait nous coûter plus de 50.000 dirhams et nous avons dû emprunter pour en assurer les frais, explique Majdouline. Mais cela justifiait-il d’avoir vécu en concubinage dans une société qui considère jusqu’à présent que vivre ensemble avant le mariage est un délit, voire un crime ? Selon eux, c’était surtout pour éviter d’avoir des charges élevées à supporter chacun de son côté.

En effet, avant de rencontrer son âme sœur, Majdouline habitait le quartier Beau Séjour, seul dans un appartement de deux pièces et supportait un loyer de 2500 dirhams par mois. Alors que Sanaa résidait avec deux copines dans un appartement à 4500 dirhams par mois. Ils ont ainsi choisi de mettre en commun et réduire leurs frais de location en prenant un appartement à Mers Sultan à 2500 dirhams. Il leur était difficile d’habiter au quartier Beauséjour à cause du voisinage qui se serait montré peu compréhensif. Mais aujourd’hui, ils n’ont besoin de se cacher de qui que soit. Depuis l’été dernier, ils se sont mariés et vivent toujours dans leur appartement de Mers Sultan. Des couples comme celui de Majdouline et Sanae, les Casablancais en voient tous les jours.

Hamid et Hafida, sont tout deux originaires d’Agadir, mais ils travaillent à Casablanca et vivent dans la ville blanche. Ils sont ensemble depuis 1999. A 35 ans passés pour Hamid, c’est évidemment l’heure du mariage. Cependant, la famille de Hafida est très conservatrice. Elle voudrait que Hafida épouse un berbère, alors que Hamid est arabe. C’est surtout la mère de Hafida qui pose problème. Ses frères et sœurs sont d’accord pour l’union. Mais en l’absence du père, décédé depuis trois ans, seule la mère décide. Alors, depuis deux ans, ils vivent ensemble et leurs voisins d’immeuble croient qu’ils sont mariés, comme ils le leur disent. D’ailleurs, ils portent tous les deux des alliances pour rendre plus crédible leur mensonge.

Prison et humiliation
Selma et Ahmed, deux cadres dans le milieu financier, vivaient également ensemble. Mais ils y ont renoncé après avoir frôlé la prison et l’humiliation pour leurs familles respectives. En effet, ils occupaient un appartement sur le Boulevard Ghandi qu’ils avaient loué ensemble. Ils faisaient le marché ensemble et ne se séparaient que rarement pour prendre un café avec leurs amis respectifs. Mais il leur arrivait souvent de recevoir ces amis, filles et garçons, chez eux. C’est ce qui a attiré l’attention du voisinage, car l’immeuble n’était pas habitué aux nombreuses allées et venues. S’agissant de couples jeunes et de bruit à des heures souvent tardives, le concierge a vite fait d’alerter le syndic de l’immeuble. Ce dernier n’a pas hésité à appeler la police un soir qu’ils recevaient comme à l’accoutumée les jeunes hommes et jeunes filles de leur connaissance.

Sur la base de cette dénonciation, le couple et leurs amis ont dû passer au commissariat pour un interrogatoire. Mais comme ils avaient tous plus de 18 ans, ils ont été libérés et leur dossier a été transmis au procureur du Roi. A partir de là, tout s’est passé très vite. En effet, ils ont été sommés de se présenter sous 24 heures devant le tribunal de première instance et le jugement a été prononcé. Ils ont tous écopé de condamnations allant d’une quinzaine de jours à 2 mois de prison avec sursis et d’une amende de 500 dirhams.

Le procureur voulait d’ailleurs poursuivre les filles pour un délit de prostitution. C’est le témoignage d’un ami médecin et la carte professionnelle brandie par les trois jeunes femmes qui les ont sauvées d’un séjour à Okacha. Mais la menace du président du tribunal était à peine voilée : la prochaine fois la condamnation sera plus lourde et aucun témoignage ne pourrait leur éviter d’aller en prison. C’est d’ailleurs non sans dépit que Selma rappelle ce douloureux épisode de sa vie. La loi marocaine est actuellement en déphasage avec la réalité de notre société. Nous sommes nombreux à avoir fait ce choix de vie, mais nous n’en avons pas le droit et nous sommes obligés de nous cacher.

Une vraie vie sexuelle
Quand on interroge les hommes de loi, la plupart considère que le concubinage n’est pas le problème sur lequel on devrait orienter les ressources de la police. Nous avons les voleurs, les receleurs, les trafiquants en tous genres et les meurtriers qu’il nous faut traquer. Pourquoi devrait-on s’attaquer à deux personnes qui ont choisi de vivre ensemble ?, s’interroge cet inspecteur de police. Mais, il se ravise très vite. Pour lui, la loi reste tout de même la loi. Donc, la police ne peut pas fermer les yeux dans le cas où un voisin se plaindrait d’une situation semblable à celle de Selma, Wassila et les autres. Lui-même avoue ne pas connaître très bien la procédure. Quand un Marocain vit avec un étranger, quel que soit son sexe, il doit en faire la déclaration auprès des autorités de police. Cependant s’il s’agit de deux marocains, ils ne sont pas tenus de le faire. La seule chose que leur interdit la loi c’est d’avoir des relations en dehors du mariage, explique-t-il. C’est d’ailleurs pourquoi les dénonciations ne mènent à rien parce que vivre en concubinage ne serait pas un délit expressément condamné par la loi.

On ne saurait que donner raison à Selma qui estime que le concubinage est en train de devenir un vrai choix pour nombre de jeunes Marocains. En tout cas, ce n’est pas Wassila qui dira le contraire. Elle est médecin dans le privé et est âgée de moins de 40 ans. Elle a visiblement renoncé à parler de mariage avec son ami, également médecin, avec lequel elle vit depuis sept ans. Ils habitent le quartier Racine, l’un des plus chic de Casablanca. Le problème ne semble pas se poser pour eux. En effet, dans leur immeuble pratiquement tous leurs voisins sont des étrangers que leur situation matrimoniale ne dérange pas. Personne ne s’intéresse à nous comme des concubins. Les gens ont actuellement d’autres soucis que de savoir si nous sommes mariés ou pas. Nous respectons nos voisins et ils nous le rendent, explique le conjoint de Wassila qui ne veut cependant pas révéler son identité.

Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes sont confrontés à de tels problèmes. En effet, aucun n’accepte les mariages arrangés, mais ils font face à la résistance de leurs familles respectives ou encore aux difficultés de trouver l’argent pour les fêtes de mariage auxquelles toutes les familles tiennent. C’est ce qui explique l’explosion du taux de célibat dans les grandes villes comme Casablanca. L’étude que vient de publier le Haut Commissariat au Plan est assez éloquente à ce propos. En effet, il y a en 2005, trois fois plus de femmes célibataires jusqu’à l’âge de la ménopause qu’en 1995. La moyenne d’âge limite du mariage est de 27 ans pour les filles et de 31 ans pour les garçons.

Le célibat n’est cependant qu’une question d’interprétation. Car en France par exemple, ces jeunes qui vivent ensemble auraient le choix de pacser, c’est-à-dire de ne pas se marier mais de vivre ensemble. Au Maroc, chacun vit son célibat comme il le peut. En effet, la plupart des célibataires sont encore dans le cocon familial, ce qui n’autorise pas le concubinage que la société considère comme un écart. Cela n’empêche qu’ils ont une vraie vie sexuelle. La virginité, n’a plus une grande signification, dans la mesure où n’importe quel chirurgien peut remettre l’hymen à sa place, explique Hamid qui affirme volontiers qu’il a des rapports sexuels avec sa copine. D’ailleurs cette dernière n’était pas vierge avant de l’avoir rencontré. Et il affirme qu’il n’a pas de scrupules à l’épouser.

Ce n’est pas le cas de son ami, Abdelmoughit, heureux d’être tombé sur une fille vierge avant le mariage. Pourtant, il reconnaît volontiers que pour passer de bons moments avec sa copine, la virginité constitue effectivement un frein. Il n’est pas rare qu’il drague d’autres filles, juste pour des raisons sexuelles. Il affirme même que sa copine est au courant et qu’elle l’accepte. Accepterait-il qu’elle en fasse autant si c’était lui qui voulait rester puceau. Moi je suis un garçon, dit-il. Une fille doit préserver son honneur. Je n’accepterais pas de sortir avec une pute, dit-il rouge de colère.

Témoignages
Ce qu’en pense l’imam

Au Maarif, quartier du centre ville de Casablanca où les mentalités ne sont pas les mêmes que celles de la périphérie, personne ne semble se soucier des couples qui seraient susceptibles de vivre en concubinage sauf peut-être les imams. Haj Salah est l’imam d’une mosquée au quartier Maarif. Il est interloqué d’apprendre que des personnes puissent oser défier la loi divine au point de vivre ensemble sans être mariés. Le concubinage n’est pour lui que la conséquence de l’influence de l’Europe qui fait tout pour corrompre les mœurs de notre jeunesse. Avoir des relations hors-mariage, c’est de la Zina, et la lapidation est l’unique punition prévue par la charia, la loi islamique. Ceux qui osent braver les interdictions divines méritent simplement la mort, selon Haj Salah. Mais notre imam ne donne pas son avis sur ceux qui tuent chaque jour des vies humaines en Irak. Il estime que c’est le Jihad, même s’ils tuent d’autres musulmans comme eux.

Hatim, Agent d’assurance

Je suis contre le fait de vivre en concubinage, car je ne vois pas pourquoi les concubins qui affirment s’aimer ne se marient pas. Il me semble important d’officialiser leur union pour ne pas vivre en marge de la société. Avant d’être marié, je recevais des copines régulièrement, mais aucune d’elles n’a jamais passé plus de deux nuits chez moi. Je crois qu’il faut savoir se fixer des limites et ne pas heurter la sensibilité des autres, surtout en se conformant à la loi.

Cependant, je trouve également déplacé de dénoncer un couple qui vit tranquillement sans déranger ses voisins. Il est vrai que les voisins mariés et ayant des enfants affirment souvent que les concubins risquent de leur donner le mauvais exemple. Mais la réalité est que ce type de personnes est souvent très discret. Donc, il faut être contre le concubinage par principe et ne pas essayer d’avoir des explications qui ne tiennent pas.

Le concubinage selon les articles 490 et 493 du code pénal
Le concubinage est le fait, pour un homme et une femme non mariés devant la loi, de vivre maritalement. Réprimer le concubinage équivaudrait à reconnaître d’abord qu’il puisse exister. Or le Code pénal ne prévoit même pas cette hypothèse. Il réprime le seul fait que deux personnes de sexe différent aient entre elles des relations sexuelles alors qu’elles ne sont pas unies par les liens du mariage. Cette infraction est punissable d’un mois à un an de prison. La preuve de l’infraction s’établit, comme pour l’adultère, « soit par un procès-verbal de constat de flagrant de délit dressé par un officier de police judiciaire, soit par l’aveu relaté dans des lettres ou documents émanant du prévenu, ou par l’aveu judiciaire ».

Le ministère public agit sur simple dénonciation. Dans un pays où le droit de la famille repose exclusivement sur l’institution du mariage et sur les rapports de parenté engendrés par les liens du sang, il ne saurait y avoir de place pour des obligations morales créées par un état de fait qui n’aurait pas reçu de consécration légale. En France, ces obligations existent puisque le concubinage stable et notoire est assimilé au mariage. S’il n’offre pas toutes les garanties données légalement par le mariage, il appartient au juge d’apprécier souverainement, selon les cas d’espèce, les répercussions morales que le décès de l’un des concubins pourrait avoir sur la situation de la partie survivante. On a ainsi souvent vu accorder des réparations matérielles pour le préjudice subi par la perte d’un compagnon.

Hanane Hachimi
lereporter.ma

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