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Il n’y a plus d’esclavage puisque l’intérim a pris la relève

Par les «bonnes sources» de l’économiste, nous avons appris qu’une association de travail temporaire (UMETT) aurait informé le secrétaire général du ministère du Travail de sa décision d’appliquer l’art. 482 et déposer cinquante SMIG annuels. Je ne sais pas comment monsieur le secrétaire général a reçu la nouvelle ? Dans tous les cas, j’ose espérer que nous n’allions pas célébrer cet événement comme un succès important dans les relations sociales, susceptible de faire «la une» d’un journal télévisé.

L’opportunité de cette décision et sa pertinence mérite d’être passée au «peigne fin». Commençons par le sujet de l’information : l’association «décide» de déposer les 50 SMIG annuels. En d’autres termes, l’association, composée d’entreprises sérieuses, décide de respecter le code du travail sous le thème : «Il n’ y a plus d’esclavage puisque l’intérim a pris la relève».
Quelle chance ? Où sommes-nous ou plutôt où étions-nous ? Dans une «république bananière» où chaque tribu ou région peut défier l’Etat de droit.

Ont est tenté de penser qu’au Maroc, le respect du droit est facultatif, la décision de l’appliquer ou pas dépend de la bonne humeur des sujets auquels ce droit s’applique. Il va sans dire que cette attitude présente un préjudice moral grave aux institutions. Comme dit le dicton, «l’excuse est plus grave que la bêtise» en d’autres termes, ne pas appliquer le droit et se taire est moins grave qu’annoncer en fanfaronnade qu’on a décidé d’appliquer le droit.

Quant au préjudice matériel et le bénéficiaire des intérêts, la CDG aura tout le loisir de s’en occuper. De quoi s’agit-il ? Le débat a pour enjeu une affaire de «sous», à savoir la garantie à déposer auprès de la CDG pour exercer dans l’activité de l’intérim. Selon la loi en vigueur, une société pourvoyeuse de mains-d’œuvre se doit de déposer cinquante SMIG annuels auprès de la CDG pour garantir l’exercice de son activité (Art 482). Notons que la confusion que fait l’expression de la loi entre les cabinets conseil en recrutement et les entreprises d’intérim. Le dépôt de garantie est imposé à ces derniers faute de précision que seules les sociétés de prestation de personnels temporaires mentionnés dans l’article 477 (c), dont l’activité comporte un risque, sont assujetties au dépôt.

Pour la bonne histoire, deux avis s’affrontaient sur le sujet par association interposée avant que l’UMETT ne change d’avis.
– Au nom d’une certaine citoyenneté, encouragement de jeunes promoteurs nationaux, une des deux associations professionnelles opérant dans l’intérim poussent dans le sens de la suppression, par ailleurs, justifiée de la caution. Ils estiment que les dispositions légales constituent une clause déloyale à l’avantage des grandes entreprises du secteur.

Dans ce sens, l’entreprise utilisatrice d’intérim se verra imposer un nouveau critère pour le choix de ses fournisseurs : «Travailler avec une entreprise ‘‘fortunée’ pas nécessairement performante ou compétitive».
-L’autre association estime avec force, sous prétexte de la responsabilité sociale et d’un développement assuré de l’emploi, que la caution est un gage du sérieux de l’entreprise. En effet, une entreprise solide financièrement est supposée être organisée pour assumer ses responsabilités sociales et pratiquer une politique de ressources humaines responsable.

Les arguments pertinents des deux parties se valent et se respectent sur le plan de la forme. Mais le fond du problème est autre et mérite une analyse plus exhaustive.
Problème de fond : Au-delà des conflits d’intérêt des deux protagonistes, posons le problème de fond.
Notons tout d’abord que le dépôt de «cinquante SMIG annuels» ne peut constituer un moyen de prévention efficace – le montant en lui-même ne serait pas suffisant en cas de défaillance d’une grande entreprise d’intérim disposant des moyens pour assurer le dépôt.

En général, la difficulté est proportionnelle au chiffre d’affaires et à la masse salariale que le million de DH ne peut parfois pas compenser.
En fait, la garantie de sérieux recherchée par le législateur par le biais de dépôt art. 482 en l’occurrence la capacité de respecter ses engagements vis-à-vis de son personnel est largement compensée par « la responsabilité juridique» du donneur d’ordre qui se substitue au prestataire de services, défaillant. La garantie serait parfaite si on précisait dans les articles 89 et 90 que « la responsabilité de l’entreprise « donneur d’ordre » se limite au paiement des salaires et de la CNSS du mois échu et justifie de droit la résiliation du contrat sans indemnité ni préavis ».

1) Temporaire/intérim : Peut-on parler d’intérim quand la main-d’œuvre travaille directement dans le système de production d’une manière continue sans remplacement des salariés de l’entreprise. ?
Doit-on parler d’intérim quand on est généralement récupéré par les sociétés de travail temporaire, éternellement temporaire, au défi total de la loi et de la bonne conscience pour ne pas dire «Responsabilité Sociale» ? Des cas d’irrégularité flagrante sont vécus quotidiennement méritent l’attention des pouvoirs publics.
En fait, l’activité des sociétés de prestation de personnels temporaires porte un ver au sein de la nature de son activité. Le vocable « temporaire » dégage une odeur de précarité de l’emploi, alors que les sociétés de personnel temporaires sont pratiquement des entreprises comme les autres, soumises aux mêmes lois sociales et devront de ce fait exercer une politique de ressources humaines responsable :
– Respect du code de travail
– Statut de CDI pour les salariés confirmés (Art. 184)
– Salaire motivant; déclarations sociales
– Développement des ressources humaines (Promotion, qualification professionnelle)
La situation confirme un état de fait : « L’esclavagisme temporaire » que titre le billet de Mme Nadia Dref (Matin du Sahara du 07-05-07) évoqué avec franchise est bien réel. A ce propos, le slogan, imagé proposé par l’UMETT «il n’y a plus d’esclavage puisque l’intérim a pris la relève», reconnaît l’existence de l’esclavage.

C’est une révélation immonde qui mérite qu’on s’y attache.
– Qui le pratiquait, par ignorance de la loi ou volontairement, si ce n’est en premier, certaines sociétés d’intérim et autres employeurs en déficit de moralité ?
– Qui le permettait et laissait faire si ce n’est pas l’absence de contrôle des pouvoirs publics au nom de la flexibilité et de l’encouragement à l’emploi ?
– L’intérim, mal encadré, n’est-il pas et ne porte-il pas en lui une certaine atteinte à l’intégrité professionnelle ?
2) Quels sont les facteurs incitatifs au recours à la main-d’œuvre extérieure ?
Pour ce, je propose de faire appréciation relative aux volets : Coût, Qualité et Service.

Le coût : Je ne pense pas qu’il y a avantage. Les sociétés de prestation de personnels ne vont pas travailler gratuitement. Elles margent logiquement en sus du coût réel, au moins les frais de gestion et ceux afférents au risque social qu’elles sont sensées assumer en cas de rupture de contrat. Aussi, faut-il rappeler que selon les « partisans de garantie », certaines entreprises ne déclareraient que partiellement leur personnel à la CNSS.

Une analyse rapide des prestations à payer comparées au volume d’heures à réaliser dans le cadre de certains « marchés publics » et privés permettra de conclure une évidence : pour gagner ou au moins équilibrer ses comptes, il faut faire des économies sur les déclarations sociales. (Réduire le nombre de jours travaillés par personne ou réduire le nombre de personnes ayant travaillé. Certains recourent à l’ANAPEC pour exonération sociale et fiscale. Dans le même objectif de détournement de la loi, certaines sociétés recourraient à la sous-traitance internalisée de l’activité. Ce subterfuge permet d’échapper aux contraintes de dépôt de la caution. Et si on se posait les véritables questions de fond dans l’objectif d’envisager une réponse avec le maximum de chances de réussite.

Qualité : – La gestion bicéphale du temporaire ou intérimaire par le sous-traitant et le donneur d’ordre n’est pas de nature à faciliter l’implication des intéressés. Elle met ces derniers dans une situation de précarité morale qui n’incite pas à la productivité et au travail de qualité. Etiré d’un côté par un employeur qui le presse à la satisfaction du client et les «petits chefs» qui évacuent leur stress sur le «maillon faible», le temporaire devient «souffre douleur» ou «bouc émissaire» de toute erreur commise.

– Y a-t-il des sociétés de prestation de mains-d’œuvre qui ont mis en place une politique de ressources humaines ? Celles qui ont une politique sociale ne dépassent pas la moitié des doigts d’une seule main. Pour la grande majorité, les ressources humaines sont un produit comme les autres, une marchandise cédée au moins disant.
Service : La flexibilité recherchée pour la société commanditaire est acquise. Celle-ci n’a aucune responsabilité juridique et peut se passer des services du salarié sans justification aucune.

La justification incombe à son employeur : la société de prestation de services. Toutefois, sur le plan de la relation humaine, l’ambiance en souffre.
3) Quelle est la valeur ajoutée de la « prestation temporaire » ?
Selon ma propre expérience, la prestation du personnel «longue durée» n’a aucune valeur ajoutée contrairement à l’intérim limité dans le temps. Le recours aux prestations temporaires signifie un excès de prudence sociale.

Il est avancé que le travail temporaire favorise l’emploi. La réponse est non !
– L’emploi est encouragé par le développement économique des entreprises qui ont pu ou su fabriquer des produits compétitifs ayant satisfait les clients.
– L’emploi du personnel est une conséquence d’un besoin suscité par l’activité économique.

– L’emploi précaire minimise les possibilités de développement du fait que l’insatisfaction, action du personnel, se répercute sur le produit.
Problèmes de fond : Pourquoi donc recourt–on au personnel temporaire ? Pourquoi les grandes entreprises et non des moindres parmi celles respectueuses du droit et «socialement responsables» vont jusqu’à engager du personnel de production dont le coût est relativement cher ?
A mon sens, deux éléments majeurs expliquent cette décision :
La flexibilité : Elle se traduit par la possibilité de se passer du service du salarié à n’importe quel moment. A cet effet, il faut savoir que les temporaires deviennent par la force des choses et des liens socioprofessionnels une composante humaine de l’entreprise et que toute décision les concernant revêt un impact social de la même intensité que les salariés permanents de l’entreprise.

– Responsabilité juridique : Certes le flou juridique du code actuel incite les entreprises à un désengagement sur le plan social caractérisé par le recours à «l’intérim prolongé». En effet, en cas de conflit, la responsabilité incombe à l’employeur. Cette fuite de responsabilité compense-t-elle les «gains cachés» que peut procurer une gestion directe, saine et responsable ?
Peut-on développer une culture de performance avec un personnel hybride géré différemment en terme de politique ressources humaines ?
D’un côté, des salariés de l’entreprise bénéficiant de garanties sociales correctes, de l’autre un personnel temporaire travaillant péniblement laissé à la traîne sur le même plan.

L’expérience vécue récemment par une société importante à Tanger a confirmé que la fuite de la responsabilité juridique est illusoire. La société cliente a été bien obligée de supporter des indemnités légales compensatoires en raison de la «mauvaise foi» de l’entreprise de sous-traitance.

Comme on peut le conclure aisément, contribuer au développement de l’entreprise ne rime pas avec précarité de l’emploi et comme le clament les dirigeants d’entreprise, l’hégémonie du social et les contraintes que peut causer cette priorité n’encouragent pas la prise de risque d’investir et de faire confiance au pays et à ses ressources humaines. De ce fait, l’implication des RH tant recherchée par les entreprises ne peut être réalisée que dans le cadre d’un contexte socio-économique serein où chaque partie se retrouve dans un jeu gagnant/gagnant, à savoir :
– Une entreprise socialement responsable très préoccupée de ses ressources humaines.

Des ressources humaines engagées dans le développement économique de leur entreprise. Une relation saine basée sur le sens de la responsabilité et du «partage» du meilleur et du pire : gagner ensemble ou se séparer sereinement en cas de problème économique réel. Ces objectifs sont, à ne pas en douter, partagés par les acteurs du dialogue social (gouvernement, syndicat, patronat) ayant convenu ce code de travail consensuel. Ils sont au service de la vision stratégique relatif à l’attractivité de «l’offre Maroc» et le développement de l’emploi. En termes crus et concrets.

Il faudra «embaucher avec plaisir et se séparer avec responsabilité dans de bonnes conditions».
Que faut-il retenir ?
Sursaut de sens de la «responsabilité sociale» de certains, excès de prétention d’autres qui se voient en train de distribuer des agréments de bonne conduite, l’attitude de cette association, appréciable dans la forme, suscite des remarques dans le fond :
– Dans un contexte de construction démocratique, la régulation d’un système peut-elle se faire avec la rigueur professionnelle exigible par des parties prenantes (juge et parti) ?
Au-delà du fait qu’ils n’encouragent pas les jeunes à créer des entreprises, les contraintes financières imposées par l’art. 482 ne sont pas garantes du sérieux de l’entreprise. La CNSS n’a «qu’à mettre le nez» dans les déclarations de certaines entreprises du personnel temporaire susceptibles d’être membres de l’association pour découvrir des défaillances régulières.

– Le dépôt d’une somme pour investir n’est-il pas discriminatoire et contraire à l’esprit des orientations du gouvernement de Sa Majesté le Roi (Moukawalati, auto-emploi, insertion…) ?
Ce système ne va-t-il marquer le retour de «Moul chkara» pour mieux entériner la précarité ? Car, disposer de fonds financiers ne légitime pas la responsabilité sociale de l’entreprise.
N’est-il pas plus efficace de veiller au respect stricte de la loi (limiter le délai de l’Intérim, contrôler les déclarations sociales, conformité au code) au lieu d’établir des barrières financières qui ne profitent pas au Développement du pays.

J’ose espérer que cette contribution découlant d’un vécu suscitera un débat autour de cette question importante. Mon objectif, dois-je le répéter, n’est pas de me positionner contre X ou Y. Mon intention est d’incriminer des procédés qui risquent à moyen terme de porter préjudice à l’épanouissement de nos ressources humaines conformément à l’esprit et la lettre de l’INDH : «nous préoccuper de l’économique pour développer le social ou promouvoir le social pour inciter au développement de l’économique». N’est-ce pas un moyen politique d’asseoir une démocratie économique à même de nous éviter des tensions sociales, voire politiques inutiles.

M’hamed EBDELHAK
LE MATIN

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