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Crédits : Les Marocains n’en peuvent plus

MUSTAPHA K., 37 ans, habite le quartier Vélodrome de Casablanca dans un appartement chic d’environ 100 m2. Beaucoup de ses collègues lui envient sa résidence haut standing acquise à près d’une centaine de millions de centimes. Le matin, c’est aussi avec une Jaguar S-Type qu’il sort de son garage, alors que sa femme emmène leurs deux enfants à l’école dans leur modeste Peugeot 407. Cette jeune famille-là a tout pour être heureuse et susciter la jalousie. Alors que certains peinent à trouver une place pour leurs enfants dans les bonnes écoles de la Capitale économique, eux ont pu en trouver deux à la mission française. Cependant, actuellement, toute leur vie est une vie de façade, une vie à crédit. Le cumul du revenu du couple dépasse 35.000 dirhams par mois. Dans un pays où le revenu minimum est de 2000 dirhams seulement, il y a sûrement de quoi mener une vie décente et même luxueuse, comme c’est leur cas. Pourtant, si la vie qu’ils mènent est bien cossue, il n’en demeure pas moins qu’il y a beaucoup de tension actuellement dans le couple. La femme reproche au mari d’être trop dépensier. Et, pour cause, les comptes bancaires de la famille sont vides en permanence. A peine les virements passent-ils que les échéances des crédits en prennent l’intégralité. Il y en au moins une bonne dizaine. La maison acquise en 2002 et financée presque entièrement à crédit prend près de 9000 dirhams sur 15 ans. Pour les deux voitures, là également la redevance au titre de la location avec option d’achat pour la première Jaguar et l’échéance de la Peugeot 407 se montent à plus de 11.000 dirhams. A cela, il faut ajouter la scolarité des enfants dont l’échéance dépasse 7000 dirhams par mois et l’équipement électroménager dont les petites sommes cumulées ont fini par faire une mensualité de 2500 dirhams. Au final, la famille supporte près de 30.000 dirhams et vit constamment grâce au débit de la banque. Mustpaha n’est que la confirmation du phénomène du surendettement qui touche de plus en plus de personnes. Car, aujourd’hui, il faut reconnaître qu’il est de plus en plus facile de contacter un crédit. Dans les supermarchés, les magasins de grande distribution, ou encore dans les sociétés de financement pour les crédits directs, il est toujours possible de s’endetter encore et encore.

Ahmed, pris dans la spirale…

Mais, il faut dire que le surendettement est encore plus accentué chez les ménages à revenu moyen. Ahmed Ch., lui, est consultant dans une entreprise de nouvelles technologies de l’information. Célibataire, n’ayant aucune personne à charge, il aime mener la belle vie et dépense autant que son portefeuille le lui permet. Mais la principale source de dépense est constituée par ses virées nocturnes. Il passe le plus clair de son temps dehors et ne revient que vers deux ou trois heures du matin. Alors, naturellement, il dépense énormément, jusqu’à 600 dirhams par nuit. De sorte qu’il n’a besoin que de quelques jours pour épuiser son salaire mensuel de 18.000 dirhams. Son compte est naturellement débiteur pratiquement dès qu’il reçoit son salaire. Il ne peut plus payer le crédit qu’il a contracté pour l’achat de sa voiture dont l’échéance est de 2900 dirhams. Pas plus qu’il ne peut honorer ses engagements concernant les petits crédits pour l’équipement de son appartement ainsi que le dernier pris pour rembourser les autres précédents. Quoi qu’il en soit, la banque n’arrête pas de le rappeler à l’ordre, mais pour l’heure il a accumulé plus de 6 mois de retard de paiement. La question se savoir comment il compte s’en tirer le fait sourire, mais en son fort intérieur, il sait que le problème est assez grave et que s’il ne se contraint pas à limiter ses dépenses, il ne pourra jamais sortir de la spirale. Car le phénomène, dure tout de même depuis 5 ans. Il ne parvient pas à souffler et à chaque fois qu’il s’essaie dans un nouveau montage financier, c’est pour s’enfoncer davantage.

La faute à l’autre !

Ahmed Ch. Essaie pourtant de réfléchir à l’origine de son problème. Selon lui, c’est la faute à son banquier. Il est vrai que ce dernier était son ami et ils ont même habité un appartement commun au Maarif. Le banquier qui était chargé de clientèle dans une agence bancaire de la place, lui avait donné tous les avantages dont un client pouvait rêvait. Ainsi, Ahmed avait-il droit à une carte de crédit qui lui donnait la possibilité de tirer de l’argent même quand son compte était débiteur, sans limite de débit. Ainsi, chaque mois, il dépassait son revenu mensuel de deux ou trois mille dirhams et voyait son débit vis-à-vis de la banque s’aggraver du même montant. Après deux ans, il traînait déjà 32.000 dirhams de débit et même son salaire ne parvenait plus à couvrir ses folies, alors qu’il avait contracté des crédits. Le premier que lui a accordé le banquier, c’était d’ailleurs pour apurer ses comptes et étaler le paiement. La tactique n’aura marché que quelque quatre mois. Puis il est retombé dans le même problème qu’avant avec une échéance de plus de 2100 dirhams à payer chaque mois. Malgré sa sérénité, Ahmed est pourtant au bord des larmes et respire profondément. S’il y avait une association de surendettés anonymes, je serais le premier à en faire partie, confesse-t-il. Les Surendettés anonymes, en voilà une idée, mais qui risque bien entendu de séduire bien des ménages. D’ailleurs, le cercle d’amis d’Ahmed ressemble bien à une pareille association.

Le cas d’Amina, Younes, Othmane…

Amina, la quarantaine avancée et divorcée d’un mari qui lui verse une pension de 2000 dirhams, alors qu’elle en gagne 9000, affirme avoir toujours le même problème. Mon endettement est tel que j’arrive à peine à payer mon loyer alors que tout mon entourage est persuadé que je suis aisée. Je vis largement au-dessus de mes moyens et pour entretenir l’illusion je ne peux plus faire autrement. Il me faut des tenues pour les sorties, aller chez le coiffeur régulièrement… Pourtant, depuis que je suis divorcée je n’ai plus les moyens de tenir un tel niveau de vie. Du coup, je n’ouvre plus le courrier de la banque, je jette les rappels de factures et j’attends un miracle. C’est infernal. Je commence à ne plus pouvoir dormir, à être odieuse avec mes enfants. Il faut que je m’en sorte. Voilà deux ans que je suis aussi débiteur, poursuit Younes. Il y a quelques années, je vivais confortablement : restos, vacances, appartement… Je ne m’occupais jamais de mes comptes mais tout fonctionnait à peu près correctement : je couvrais mes découverts avant d’en creuser d’autres et ça passait. Et puis un jour, j’ai rencontré des difficultés au boulot et j’ai traversé une période d’autodestruction profonde. J’achetais, je dépensais et me collais des crédits pour me punir de je ne sais quoi. Quand il a fallu que je réintègre le domicile parental à 33 ans, faute d’argent, j’ai compris que j’avais un problème. Aujourd’hui, j’ai de nouveau un appartement et je gagne bien ma vie. Othman quant à lui vient de sortir de cet engrenage du crédit : « pour la première fois depuis longtemps, je suis créditeur à la banque ! ». Evidemment, reprend-il, j’ai failli faire une énorme fête pour célébrer l’événement. Mais je ne suis pas passé à l’acte. Mon secret ? Je me déplace uniquement avec 50 dirhams en poche laissant chéquier et carte de crédit à la maison. Je tiens bon depuis trois jours…

Ces chiffres d’un chercheur !?

Parmi les amis d’Ahmed, certains ont des problèmes avec le chéquier et traînent aujourd’hui plusieurs chèques sans provisions qui pourraient les conduire en prison. Cela risque d’arriver un jour ou l’autre, mais il se disent sans doute qu’il ne sont pas les seuls. Ce qui est vrai à plus d’un titre. Il suffit de regarder les créances en souffrance qu’accumulent les sociétés de crédit à la consommation pour se rendre compte du phénomène. Un jeune sociologue a essayé de se pencher sur le phénomène. Il s’agit d’Ahmed Alami Choqué. Voilà comment Ahmed Alami se sent lorsqu’il se penche sur les statistiques concernant le surendettement des ménages. Ce sociologue rbati a consacré dix ans de sa vie à l’étude de ce phénomène. L’exposé de ses découvertes est un récit sans complaisance de la vie infernale de ceux qui doivent se débattre avec de gros problèmes financiers. Il met en lumière une réalité largement occultée au Maroc, celle de l’endettement. Il trouve surtout dommage que les chiffres déjà peu abondants des autorités monétaires, occultent systématiquement la dimension humaine du problème. Une attitude aux antipodes de celle du sociologue. J’ai eu l’occasion de voir la détresse de celui qui doit se résigner à prendre un deuxième crédit pour en rembourser un autre en sachant qu’il ne pourra jamais payer dans les délais l’échéance fixée , s’indigne le chercheur. Il y a des pays, en Europe par exemple, où le gouvernement vote des lois pour prévenir le surendettement. Ici, on ne fait rien, les endettés vivent dans la honte et l’isolement car ils ne savent pas à qui s’adresser. Ahmed Alami souligne l’ampleur de l’endettement. Ainsi, les dettes à la consommation dépassent l’épargne en Amérique du Nord, tandis que le nombre de cartes de crédit en circulation et de soldes en souffrance ne cesse de progresser. Selon le chercheur, 20% des emprunteurs éprouveraient des difficultés à rembourser leurs dettes au bout d’un mois. Pour comprendre pourquoi même des gens bien informés tombent dans la spirale de l’endettement et ne s’en sortent que difficilement malgré leurs efforts, il a décidé de les interroger.

Quatre catégories d’endettés

Pendant deux ans, il a rencontré près de 70 personnes aux prises avec de sévères difficultés financières. Des Casablancais et Rbatis de tous milieux sociaux. Au fil de ces entrevues, le chercheur a pu constituer quatre catégories d’endettés. Selon lui, certains individus peuvent se classer parmi les vulnérables, peu éduqués et à faibles revenus, qui ont tendance à céder facilement aux sirènes du crédit. D’autres, les malchanceux, plus conscients des dangers de l’endettement, doivent parfois s’y résoudre lorsque le chômage, la maladie, une séparation, bouleversent le savant équilibre financier construit peu à peu. De leur côté, les parvenus collectionnent les cartes de crédit, les marges, connaissent tous les trucs pour les avances de fonds afin de disposer d’un style de vie toujours au-dessus de leurs moyens, tandis que les compulsifs achètent sans compter, simplement pour assouvir leur passion. Bien sûr dans la réalité, le portrait des vrais endettés se compose souvent d’éléments puisés dans plusieurs archétypes. Au cours de ses recherches, Alami a aussi découvert que les personnes rencontrées vivaient plusieurs cycles d’endettement. Les endettés accumulent les créances, remboursent parfois en empruntant, assainissent leur situation mais s’endettent parfois à nouveau dès qu’ils relâchent la garde. Certains accomplissent trois, quatre, cinq boucles semblables sur de courtes périodes, constate le chercheur. C’est avec une très grande facilité que les gens retombent dans l’endettement dès qu’ils se sentent un peu plus sûrs d’eux. Il faut dire que les endettés disposent de moyens dérisoires face à l’industrie du crédit et aux institutions bancaires. Trop souvent, à en croire le sociologue, les informations financières viennent seulement du gérant de banque ou de la publicité télévisée. Une grande partie de la population est analphabète économiquement et ne dispose pas d’un regard extérieur sur sa situation, assure-t-il.

Quelles solutions ?

Pour rectifier le tir, il faudrait, selon lui, améliorer la formation scolaire sur le crédit, offrir les services de planificateurs financiers neutres et, pourquoi pas, obliger les agences de crédit à investir dans un programme d’éducation comme le font les vendeurs de boissons alcoolisés. Des mesures qui semblent encore utopiques puisque, pour l’instant, l’endettement demeure un problème largement ignoré par les décideurs. Au niveau du gouvernement, la décision a été prise depuis 5 ans de relever le niveau du salaire minimum insaisissable. En effet, il est passé de 500 dirhams à 1000 dirhams dans le but de réduire le phénomène qui asphyxiait certains ménages de fonctionnaires surendettés. Pourtant, certaines familles n’y ont pas échappé. De même, du côté des professionnels regroupés au sein de l’Association professionnelle des sociétés de crédit des mesures encore plus efficaces ont été prises. Ainsi, un fichier central négatif a été mis en place dans lequel l’ensemble des mauvais payeurs qui ont eu une fois un incident de paiement concernant un crédit à la consommation se retrouve. A chaque fois qu’un client demande un crédit le fichier est systématiquement consulté.

Hanane Hachimi
lereporter.ma

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