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Erotisme. Avons-nous une culture du plaisir ?

Abou Hamed El Ghazali, Min Ihya’ ulum addin (1111)
Mensurations idéales des organes sexuels, attentes du mâle et de la femelle, comportement à adopter dans les préliminaires, et surtout, invitation à la jouissance illimitée… Tout cela, on le trouve dans les tréfonds de la culture islamique. si !

Lorsqu’un homme plus grand que vous, ayant une autorité religieuse de préférence, vous dit la haya’ fi addin (il n’y a pas à avoir honte en matière de religion), il faut entendre, laissez-moi vous dire ce qu’il faut faire en matière de sexualité, Allah m’y autorise. Bizarrement, le mot din
(religion) renvoie à sexualité. Preuve s’il en est, explique le philosophe Mohamed Sabila, que la religion asservit le plaisir, le détermine. Comment ?

Dans la religion
Le mot neutre jins (sexe) ne figure pas dans le Coran. Seuls les termes moralement corrects, farj (sexe chaste), ou encore nikah (relation sexuelle légale) y ont droit de cité. Tout le monde ne se sent pas forcément concerné par ces catégories. Et cela n’a rien de nouveau. Mais que remarque-t-on chez ceux qui s’y astreignent ? D’abord une forte ritualisation du plaisir. Le fait que certaines personnes, par traditionalisme, se sentent obligés de lire la fatiha avant de faire l’amour avec leur femme et demandent pardon à Dieu après le coït, prouve qu’ils considèrent le sexe comme une souillure autorisée, explique Sabila. Ayant mauvaise conscience de leur accession à l’orgasme libérateur, ces êtres (une partie radicale des islamistes) adoptent une vision apocalyptique du plaisir, commente le philosophe Noureddine Afaya. Ils considèrent la jouissance qu’ils peuvent se procurer ici bas comme imparfaite et demeurent convaincus que le vrai plaisir sera atteint dans l’au-delà. Cet orgasme en suspens n’est pas une forme d’abstinence ni même un stoïcisme – une retenue raffinée et réfléchie – comme c’est le cas chez les soufis. La preuve, ajoute Afaya : Même les kamikazes qui s’éclatent pour aller au paradis, prennent le soin de se taper, dans la légalité éphémère, 4 à 5 femmes, avant de passer à l’acte suicidaire. Face à cette catégorie, extrême, on distingue une seconde, plus épicurienne, ne crachant pas sur la soupe enivrante du sexe, mais tout aussi machiste dans son comportement. Cette dernière a deux modèles en référence. Celle, passée, du prophète Mohammed, jouisseur à souhait, marié à dix femmes, et celle promise dans l’au-delà, où les houris le contestent aux ghilman (éphèbes). Les deux images, mises côte à côte, renforcent, dans l’imaginaire musulman, la prééminence de l’homme sur la femme, le droit de jouir à satiété dans le cadre légal du mariage et la nécessité d’éviter toute déviance sexuelle en attendant la profusion paradisiaque qui autorise à tous les excès (pédérastie, multiplication des partenaires, voire pédophilie, etc). La beauté des mots qui décrivent le corps des houris et les ghilman attise davantage le désir qui habite l’imaginaire collectif musulman et rend le plaisir retardé (au paradis) plus puissant que le plaisir immédiat, écrit le penseur égyptien Ibrahim Mahmoud.

Dans la littérature
L’islam n’est pas uniquement fait de textes sacrés et de bigots qui les prennent à la lettre. L’histoire est beaucoup plus tortueuse et moins simpliste. Ainsi, Chihab Eddine Ahmed Tifashi nous apprend, dans un livre mémorable (1), que durant les sept premiers siècles de l’hégire, il existait plusieurs types de proxénètes, un langage de drague féminin et masculin très codé, une profusion d’adultères, d’homosexuels et de poètes qui s’en réjouissaient. Sur le cas précis de la sodomie, explique Mahmoud, outre la promesse paradisiaque qui le crédibilisait, il y avait, comme chez les Grecs, une conception aristocratique du derrière et une valorisation du rapport entre mâles. Même dans un manuel pour mariés, signé Mohamed Ibn Ahmed Tijani (2), le lecteur trouvait alors un mode d’emploi érotique, les mensurations idéales des organes sexuels, les attentes de chaque partenaire, le comportement à adopter dans les préliminaires, et surtout une invitation à une jouissance illimitée, sous le toit conjugal tout de même. Certes, le but majeur de l’ouvrage, machisme oblige, consiste à préparer la femme pour qu’elle soit à la hauteur, mais on est tout de même loin de la retenue frustrante des orthodoxes. Avec Cheikh Mohamed Nefzaoui (3), on passe à la vitesse supérieure, à l’éloge du plaisir hétérosexuel, détaillé, alléchant, érotique, tenant compte des attraits et atouts autant de la féminité que de la masculinité. Oubliée, l’image mythique de la feuille de vigne, la jouissance est mise à nu, célébrée comme un moment de fantasme absolu, à vivre pleinement. Dans ces textes, comme dans d’autres, la littérature arabe, poétique et prosaïque a laissé éclore des êtres fragiles, aimants, attachés aux plaisirs de la vie, au goût de la liqueur, au son berçant de la musique et à bien d’autres formes qui montrent que les musulmans étaient aussi des hédonistes. Cette célébration du carpe diem, version arabo-musulmane, a été une parenthèse historique. La valorisation du plaisir correspond à une période faste, de conquête et de prise de pouvoir par des forces urbaines et civilisées, explique Sabila. Si le harem chinois a été importé par les Ottomans, le raffinement du corps et de l’esprit l’a été par les Abbassides et le transfert de toute cette civilisation du lit (baldaquins, hammams, etc) n’a atteint le Maroc que par ricochet, via les Andalous, explique la psychologue Rita El Khayat. Mais tous ces acquis n’ont pas fait long feu. Le repli et la revanche de l’esprit renfermé et nihiliste, reniant la vie, correspondent à des moments de dépression historique, d’échec militaire et de montée en puissance des fuqaha et de bédouins rustres, note Sabila.

Dans la culture
Même quand les vers d’Abou Nouass sont évoqués ou lorsque les largesses de Omar Ibn Abi Rabia ont valeur d’exemples, tout cela paraît si lointain, privilège des seuls érudits de l’élite urbaine à l’époque, relativise El Khayat. Qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui ? Une civilisation qui s’occupe plus d’habits et de bouffe, des femmes qui se suffisent de petits plaisirs en grande quantité. Et le plaisir physique ? Vu par une féministe, la culture machiste dominante est facilement mise à nu : Depuis toujours, le sexe est vécu comme une chose brève et interdite à la femme. Il n’y a pas suffisamment de sensualité, d’enveloppement de la femme. Les hommes font du dreb wa hreb et les femmes, de par leur éducation, sont préparés à un choc, un échange violent, frontal (nuit de noces, viol autorisé…). Il est vrai que, même à travers les plus libertins des ouvrages musulmans, moyenâgeux, le sexe faible est perçu comme un sexe castré, les lesbiennes comme des frustrées en puissance et l’objet phallique comme le nombril du monde, jusqu’en paradis, rappelle Mahmoud. Face à ce carcan traditionnel, la question du plaisir est liée à l’épanouissement de la femme et à son rapport au corps. L’islam étant de plus en plus lié à une culture de piété, et très peu au désir, la société musulmane s’émancipe hors de l’islam (tel que perçu par ceux qui détiennent le discours religieux), pour assumer son attachement à la vie, commente Sabila. Cela crée une tension permanente qui arrive à son paroxysme en été, dans les plages, avec des islamistes et autres ouléma qui s’érigent en tuteurs des corps dans l’espace public. Avec la place de plus en plus grandissante, en privé, des images, médiatiques, paraboliques, les États et les élites musulmanes doivent réagencer l’espace urbain pour laisser les corps se mouvoir plus librement, estime Afaya. C’est toute une culture de liberté qu’ils doivent instaurer et protéger, pour que nos villes respirent mieux la vie.

(1) Chihab Eddine Ahmed Tifashi, Nouzhat Al Albab fi ma la youjad fi kitab, éd. Riad El Rayyes books
(2) Mohamed Ibn Ahmed Tijani, Touhfat Al Arous wa mut’at Annoufous, éd. Riad El Rayyes books
(3) Mohamed Nefzaoui, Arrawd Al Atir Fi Nouzhat Al Khatir, éd. Al Jamal

sourcetelquel-online

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