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La gare routière, refuge des mères célibataires

Deux d’entre elles dorment profondément pendant que la troisième, Rachida, tourne en rond autour du bébé ne sachant quoi faire. Son visage est marqué par la fatigue. Autour d’elle, plusieurs personnes la dévisagent et la jugent. Son tort est d’avoir été victime d’un homme qui lui a promis le mariage, mais dont le but était d’abuser d’elle.

Des femmes comme elles, il y en a malheureusement beaucoup. Rejetées par leurs familles ou en fugue par crainte de représailles, ces victimes, qui se trouvent très vite mamans, doivent faire face à la dure réalité de la rue avec peu d’espoir de s’en sortir. Quant à leurs bébés, elles envisagent soit de les abandonner, soit de les vouer à l’infanticide. Et, pour essayer de survivre, échapper au regard blessant et inquisiteur de la société, elles vont généralement se cacher à l’intérieur des gares routières, à côté des postes de police, de la wilaya ou des mosquées. «J’ai aimé cet homme.

Il m’avait promis monts et merveilles et je l’ai cru. Aujourd’hui, je suis seule, perdue et je ne sais pas quoi faire», raconte Rachida au bord des larmes. Originaire de Taounate, cette jeune femme, âgée de 30 ans, est venue il y a quelque temps déjà à Casablanca à la recherche d’un travail et c’est à ce moment-là qu’elle a connu celui qui deviendra le père de son fils.

Anas, son bébé âgé à peine de 20 jours, pleure toutes les larmes de son corps. Couché sur une banquette couverte de couvertures et de draps, il a froid, faim et a besoin d’être changé. Sa maman lui enlève sa couche et la nettoie avec un peu d’eau. Rien n’est stérilisé. L’eau qui sert à faire le lait provient du robinet, le biberon ainsi que la tétine traînent sur le béton de la salle d’attente… «Quand j’ai annoncé à mon ami que j’attendais un bébé de lui, il a pris ses jambes à son cou sans aucune explication. Il était trop tard pour que j’avorte, j’ai donc décidé de le mettre au monde», se souvient-elle. «Mais avant de quitter mon travail, j’ai réussi à mettre de côté un peu d’argent, c’est ce qui me permet de tenir le coup. Mes parents ont su que j’étais enceinte mais ils ignorent que je vis aujourd’hui dans une gare», poursuit-elle.

A ce même moment, un agent de sécurité s’approche des mamans et les réveille : «déguerpissez, savez-vous que vous n’avez pas le droit de rester ici. Ce n’est pas un dortoir. S’il vous plaît mesdames, partez». Une des mères se lève et va chercher son fils qui dort aussi sur une banquette à côté, enroulé dans une couverture et caché par des sacs. Affectueuse, elle l’embrasse tendrement pour le réveiller tout en douceur. Rachida profite de cet instant pour lui demander d’aller chercher des couches propres pour son fils Anas. «Nous sommes solidaires entre nous.

On s’aide. Quand l’une de nous veut se reposer, l’autre veuille sur les enfants. Pour l’argent, on se débrouille comme on peut», dit-elle. En face d’elles, des voyageurs curieux qui les observent et murmurent. Certains s’approchent toutefois pour sourire avec l’enfant. D’autres n’hésitent pas à venir à la rescousse de Rachida : «écoute ma fille, ce n’est pas une vie celle que tu es en train d’offrir à ton fils, tu fera mieux d’appeler une association pour t’aider. Pourquoi ne le donnes-tu pas à l’Institution Lalla Hasnae ? On s’occupera de lui. Ici, il va attraper froid». Rachida n’en peut plus et éclate en sanglots.

Ce discours, elle l’a entendu maintes fois mais refuse de se séparer de son enfant. Elle refuse de le donner même si c’est pour lui offrir une meilleure vie. «Non, je ne peux pas me séparer de lui. Je trouverais une solution. Je chercherais du travail et prendrais une nourrice pour qu’elle s’en occupe. Je m’en sortirais», dit-elle en pleurant et en serrant bien fort son fils sous ses bras. Omar Saadoun, éducateur de rue avec l’association Bayti, assiste à la scène.

Disposant d’un local à la gare Ouled Ziane pour son travail avec les enfants de la rue, il traîne souvent par ici et par là et à chaque fois il est saisi d’une forte émotion quand il voit ces mamans : «Nous voyons ce phénomène de plus en plus ici à la gare. Très souvent, des mères célibataires, le temps de trouver quoi faire, viennent ici et restent pendant plusieurs jours. Elles dorment ici, mendient… Il faut faire quelque chose.

C’est une injustice. Surtout lorsque l’on sait que ce sont les enfants qui en souffriront et se retrouveront sans doute parmi les milliers d’enfants de la rue», affirme-t-il. Pourtant, Rachida a essayé de prendre les choses en mains quand elle a su qu’elle attendait un bébé, sa première réaction a été d’aller voir une association pour demander de l’aide. Malheureusement, toutes ont des critères de sélection.

Que ce soit pour Insaf ou Solidarité féminine, elle est trop âgée. Les deux ONG préfèrent en effet prendre en charge celles qui ont entre 15 et 25 ans. «Nous ne pouvons pas prendre en charge tout le monde. C’est pour cette raison qu’il y a des critères. Mais pour celles que nous ne pouvons pas accueillir, nous leur proposons notre aide en facilitant la réconciliation avec le père de l’enfant, en l’aidant à déclarer l’enfant à l’état civil ou encore en la mettant en relation avec d’autres associations», dit Idman Soumia, assistante sociale à Solidarité féminine. Comme si des critères devaient s’imposer dans de telle situation.

Cependant, taper sur les doigts des associations équivaudrait à détourner le problème. Prendre en charge des mères célibataires de 15 à 25 ans n’est pas du tout une discrimination comme diraient certains. Mais vu leur manque de moyens, elles n’ont d’autres choix que de fixer des priorités. Mais au moins, elles, ces ONG, font quelque chose contrairement à l’Etat qui continue à faire la sourde oreille !

Que prévoit la loi ?
On se rappelle tous du temps où les mères célibataires, une fois arrivées à la maternité pour accoucher, voient arriver la police, avertie par les infirmières, qui les emmènent pour les présenter au tribunal pour avoir entretenu des relations sexuelles hors mariage. Un crime puni par la loi d’une peine de prison avec sursis.

Aujourd’hui, les choses ont changé. Elles sont toujours coupables mais les autorités sont plus souples et plus compréhensives. En effet, quand une maternité avertit la police, celle-ci se déplace, relève les empreintes et laisse les mamans en paix. Finie également la mention «père inconnu» sur l’extrait de date de naissance, désormais la mère célibataire a le droit d’enregistrer son enfant sous un nom fictif qu’elle choisit dans une liste.

Elle a également droit à un livret de famille et c’est le seul cas où la mère peut transmettre la nationalité marocaine. Aujourd’hui, avec la nouvelle réforme du code de la famille et les efforts de sensibilisation fournis par les différentes associations, la société marocaine commence à avoir un regard, timide certes, mais différent envers ces mères célibataires.

D’ailleurs, même les mamans n’ont plus les mêmes craintes qu’il y a quelques années de se déclarer mères célibataires. Certaines d’ailleurs n’hésitent pas à avoir recours à la reconnaissance de la filiation pour donner une identité à leur enfant. Cependant, le test ADN coûte cher et on ne peut y avoir recours qu’en cas de viol ou de fiançailles.

Dounia Z. Mseffer
LE MATIN

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