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Elisabeth Guigou : «Sur le Sahara, le Maroc a d’excellents arguments

Le Matin : Vous êtes ancien ministre et donc vous êtes très au fait de la question du Sahara. Vous avez aussi passé votre jeunesse au Maroc, ce qui vous donne sûrement une sensibilité particulière sur ce sujet. A ce double titre, quelle est votre analyse du dossier saharien aujourd’hui ?

– Elizabeth Guigou : C’est maintenant un problème qui est là depuis 30 ans. L’opinion publique française ne sait rien ou presque rien de cette histoire. Il y a évidemment le souvenir de la Marche Verte, très positif, romantique et magnifique, mais c’est tout. Très peu de gens en France savent quelle a été l’histoire du Sahara, comment cela s’est passé il y a trente ans, comment cela a évolué depuis.

Il y a d’abord un effort de communication très actif à faire. Un effort d’ouverture pour montrer ce qui se passe. Il faut à la fois leur expliquer ce qui s’est passé récemment, et rassurer les amis du Maroc.

Mais ce n’est pas le Maroc qui est coupable.

Nous avions espoir, il y a quelques semaines à peine, qu’il y ait des ouvertures entre le Maroc et l’Algérie pour arriver à trouver une solution. Les choses se sont bloquées tout d’un coup. Pourquoi ? D’où est-ce que s’est venu ? J’ai écouté attentivement les explications que m’ont donné toutes les personnalités marocaines que j’ai rencontré, car je voudrais en rentrant en France moi-même pouvoir expliquer davantage.

Il faut également essayer de trouver et de dire comment on voit l’issue de cette question. Il faut arriver à sortir un jour du contentieux. C’est vrai qu’on ne peut en sortir que par la coopération. Il faut donc arriver à trouver des partenaires coopératifs.

Sa Majesté le Roi avait fait un geste vers l’Algérie en proposant de mettre de côté le dossier du Sahara pour que les deux pays puissent se concentrer sur les autres chapitres de l eurs relations bilatérales. Or le président Bouteflika a bousculé cette stratégie, ce qui a entraîné une dégradation immédiate des relations entre les deux pays et destabilisé l’UMA. Alors, quel est votre sentiment personnel sur cette escalade ?

Ce que je crois personnellement, c’est que de la part du Maroc il y a d’excellents arguments qui ont fait évoluer les choses. Il faut expliquer quelles sont ces évolutions, parce que personne n’en sait rien en France.

Je suis tout à fait prête, évidemment, à relayer tout ce que j’ai entendu et à faire en sorte qu’en France les différents milieux, parlementaires et politiques, s’intéressent davantage à ce sujet. Le sentiment de compassion y joue.

Quand il y a des populations qui sont un peu défavorisées, cela engendre un élan de solidarité. Il faut à mon avis pouvoir dire ce que l’Etat fait pour bien expliquer la situation.

Il y a de gros investissements qui ont été faits sur le plan économique et social. Il faut les faire connaître davantage. Il y a une ouverture qui pourra également être faite à différents groupes, des parlementaires et des journalistes notamment, pour montrer la réalité de la situation.

Il faut enfin pouvoir arriver à donner une perspective de sortie du conflit. Car, c’est un point de fixation qui empêche aujourd’hui une vraie coopération entre les pays du Maghreb. On pourrait également pouvoir sortir de ce contentieux s’il y avait des perspectives de coopération euro- méditerranéenne et maghrébine.

Les pays de l’Union européenne n’ont-ils pas un rôle à jouer, notamment en clarifiant un peu plus leurs rapports avec les protagonistes au sujet du contentieux ? Il s’agit, finalement d’une solution politique qu’il faut trouver et qui reste entre les mains des Etats et non des opinions publiques.

La solution politique sera d’autant plus facile à trouver et à faire comprendre que les opinions publiques auront été mieux informées. Je pense que la France et l’Espagne, en particulier, devront mener une diplomatie plus active pour que l’Union européenne ne se désintéresse pas du sujet.

Pour l’UE, il y a en tous cas un intérêt fondamental pour que cette question ne dégénère pas. Car il s’agit d’un problème de stabilité dans toute la région et de développement.

Les éléments de raison sont là pour faire avancer les choses. Pour moi, parlementaire française, je rentrerai à Paris et ferai part de ce que j’ai entendu de mes amis marocains à tous mes interlocuteurs français.
La France vient de dire non à la Constitution européenne dont on pourrait voir une volonté de repli sur soi. Quel serait l’impact de ce vote sur les partenaires du Sud et notamment le Maroc ?

J’ai fait ardemment campagne pour le oui, alors je dis que c’est une énorme déception. Il faut bien prendre la mesure de ce qui s’est passé. Il y a multiples causes à ce vote, des causes internes qui ont été très présentes et il y a une interrogation de la part des Français comme de beaucoup d’Européens sur le sens du projet européen.

Nous sommes un peu victimes du succès de ce projet qui depuis cinquante ans a accompli de manière magnifique ses buts initiaux : la paix, la démocratie, la réconciliation et la réunification du continent. Maintenant, depuis la chute du mur de Berlin, il y a une quinzaine d’années, quel est le projet européen ? Je suis convaincu que pour redonner du sens au projet européen, cela doit se faire vis-à-vis du monde extérieur. Au fond, nous avons réglé nos problèmes européens et nous devons nous tourner vers le reste du monde. Mais d’abord, voir avec nos amis du Sud de la Méditerranée dont nous sommes tellement proches, et particulièrement le Maroc, comment nous pouvons arriver à bâtir un monde meilleur.

C’est parce que ce projet européen est incertain ou du moins n’est plus visible que nous ne pouvions pas passionner les gens par les institutions qui ne sont qu’un moyen de concrétisation de projets. Il faut donc s’interroger très profondément là dessus. Il ne faut évidemment pas perdre espoir, l’Europe est là, elle va continuer à se faire. Il faut rebondir, en 1954 la France avait dit non à la Communauté européenne de défense, (Jean Monet a proposé) trois ans après, on avait le marché commun. Je suis à la recherche, pour l’Europe parce que j’y crois profondément, quelles sont les actions concrètes aujourd’hui qui pourront redonner du sens au projet européen en général. Parmi ces projets, il y a celui de la communauté euro-méditerranéene. J’en suis personnellement persuadée.

La France a dit non au projet de Constitution européenne, les Pays-Bas lui ont emboîté le pas. Une des lectures de ce vote est qu’il traduit un rejet implicite à l’adhésion de la Turquie musulmane. Ne peut-on pas craindre que ce sentiment de rejet, alimenté par un discours populiste hostile s’élargisse à tous les pays arabo-musulmans ?

C’est un vrai risque, mais je pense que nous pouvons le conjurer. J’ai été choquée, pendant la campagne, d’entendre des relents xénophobes – protectionniste aussi qui sont anciens dans la droite extrême, qui existaient dans une partie de l’extrême gauche – dans des cercles plus modérés. Je me suis élevée contre cela et je pense que tous les démocrates doivent être extrêmement attentifs à cet égard.

On ne peut pas simplement se contenter de condamner cela, mais il faut prendre la mesure de ce désarroi qui existe en Europe, qui est que tout se passe, en effet, comme si depuis dix ou quinze le seul projet de l’Union européenne a été de sans cesse s’élargir. Cela a un côté anxiogène. La classe politique est très fautive de ne pas avoir expliqué et suscité le débat public sur l’élargissement. Finalement, il y a eu un vote sur l’élargissement.

Si on met tout cela à bout à bout, je dis raison de plus pour expliquer : quel doit être le projet de l’Union européenne ? Qu’est-ce que nous voulons pour nous-mêmes et avec nos voisins ? Car, il n’y a pas d’avenir, à mon avis, pour l’Union européenne dans une optique de grande Suisse. Nous avons, non seulement des solidarités à entretenir, mais des problèmes et un avenir commun à appréhender ensemble. Il n’y a pas d’avenir pour une Union européenne qui serait bancarisée et qui serait une forteresse.

L’Union européenne doit, à mon avis, penser à définir ses frontières qui sont, certes, à discuter. Mais, qu’elle dise que ces frontières ne sont pas un mur. C’est pour cela que je défends la communauté euro-méditerranéenne. Si on donnait pour perspective de concrétisation de ce projet, mettons une dizaine ou une vingtaine d’années, on pourrait mettre en place des institutions intermédiaires. Il y aura une composante dans cette communauté qui sera l’Union européenne, d’autres composantes seront les pays pris individuellement ou dans le cadre d’un ensemble, j’espère un jour le Maghreb uni.

Il faut essayer de fixer cette perspective, car dans la coopération internationale, on ne fait rien sans utopie. Après, il faut ancrer une vision pour des projets concrets. Je rêve d’un projet où l’UE et les pays du sud de la Méditerranée puissent organiser les échanges des chercheurs. Nous avons un défi technologique majeur à relever, nous avons besoins de grands ensembles universitaires et de recherches pour irriguer nos industries et pour relever les défis technologiques. Alors, organisons cela ensemble. Ce sera à mon sens une première réponse à la question de l’immigration et de l’émigration.

Vous ne pensez que les relents xénophobes, qui prennent d’ailleurs prétexte sur des événements comme l’assassinat du cinéaste Van Ghog aux Pays-Bas ou les attentats de Madrid, puissent contrecarrer et bloquer ce projet communautaire ?

Vous avez tout à fait raison, mais il faut voir ce qu’il y a derrière ça. Il y a d’abord la crainte pour la sécurité. C’est un problème qui nous est commun. Les terroristes sont les mêmes qui ont frappé à Casablanca et à Madrid. Nous règlerons ce problème avec des mesures sécuritaires, qui certes sont nécessaires, mais pas seulement.

Nous savons très bien aussi qu’il faut agir sur l’environnement, notamment de développement économique et social. Les extrémistes y jouent d’ailleurs beaucoup. Si nous arrivons à nous dire ces choses là, à essayer de mettre en place des projets concrets et à agir ensemble dans ce sens, plutôt que l’Europe se cadenasse derrière des réflexes sécuritaires, nous aurons fait une grande partie du chemin.

Le processus de Barcelone s’apprête à fêter ses dix ans au mois de novembre prochain. Quelle évaluation en faites-vous ? D’aucuns concluent à son échec pur et simple.

Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. D’abord, le processus de Barcelone a le mérite d’exister. Ensuite, il a permis d’ancrer l’idée de la coopération entre les deux rives de la Méditerranée. Il également suscité quelques flux financiers, même s’ils restent insuffisants. Il a, par ailleurs, trois grands défauts à mon avis. Le premier est que les échanges économiques se sont faites de façon très unilatérale, au détriment des pays du sud, de manière déséquilibrée, parce que le libre-échange entre ensembles de développement profite généralement au plus fort.

Il faut compenser ce déséquilibre par des projets privés et publics qui permettent de rétrécir les écarts, ce qui n’a pas été suffisamment fait. Nous pouvons dire qu’à ce niveau les responsabilités sont partagées, mais il n’y a pas eu suffisamment de générosité de la part de l’Union européenne. Il y a la question des marchés agricoles qu’il faudra bien discuter un jour.

Dans l’institut Calame, il y a une idée qui a été bien travaillée par les chercheurs des deux côtés, et s’est intéressée à l’agriculture méditerranéenne qui offre des opportunités énormes, avec notamment des fruits, de l’huile d’olive et d’autres spécialités qui ont du succès partout dans le monde. Plutôt que de se focaliser sur les produits européens proprement dit, pourquoi ne pas essayer de créer des labels qui donnent à ces produits agro-alimentaires des débouchés formidables ?
A Barcelone, il n’y a pas eu suffisamment de ces projets concrets qui pourraient être aidés davantage par l’argent de l’UE.

Le deuxième défaut a trait au dialogue politique. Certes, celui-ci existe, les pays se voient entre eux, mais il n’a pas été suffisamment organisé et en tous les cas pas assez paritaire. Je me souviens d’une rencontre à Tunis où tous nos amis du Maghreb ont dit c’est toujours l’Union européenne qui met les papiers sur la table. Prenons donc les choses en main. Si nous avons cette perspective d’une communauté euro- méditerranéenne, créons un secrétariat politique qui, à parité, décide de ce qui doit être mis sur la table et faisons en sorte que les ministres se voient d’avantage et les chefs d’Etat et de gouvernement aussi sur une base plus égalitaire.

Troisièmement, il faut intéresser les opinions publiques. Le processus de Barcelone n’a pas véritablement mordu et pour cause, la société civile des deux côtés n’est pas suffisamment impliquée. Nous devons donc arriver à surmonter ces trois défauts.

Nous devrons par ailleurs susciter toutes les initiatives possibles. Il faut également faire en sorte que le Maghreb puisse s’organiser. La question du Sahara est un point d’achoppement qu’il faut arriver à surmonter.

Les propos populistes de Nicolas Sarkozy sur la banlieue de la Courneuve ont mis en émoi les populations maghrébines en place. Cette orientation d’hostilité à l’égard de l’Arabe et du Musulman ne risque-t-elle pas de mettre en danger les rapports de la France avec les pays maghrébins en général et le Maroc en particulier ?

Je suis élue au département de la Seine Saint Denis où se trouve la ville de la Courneuve. Dans ce département il y de très nombreux habitants, français ou pas, qui sont d’origines maghrébine et africaine.

Ces propos ont beaucoup choqué. Moi qui suis née au Maroc, je sais très bien que lorsque j’ai commencé à m’éveiller à la politique, à m’intéresser à ce qui se passait autour de moi, c’était au moment de la guerre d’Algérie, l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète qui s’opposait à l’indépendance de l’Algérie), parlait de nettoyer la Kasbah d’Alger.

C’est donc un langage qui renvoie à une mémoire très précise. On ne peut pas employer un langage pareil, car on ne s’occupe pas des gens comme on nettoierait les saletés. Ce que je vois dans mon département d’élection c’est qu’il y a une très grande tolérance et beaucoup de générosité. Il y a une aspiration au dialogue des cultures.

Il faut, à mon avis, avoir une option positive sur le monde qui consiste à chercher ce que les jeunes français et françaises qui sont nés de parents marocains peuvent apporter aux pays du Sud de la Méditerranée et ce que ces derniers peuvent leur apporter.

source:lematin

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