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Reportage : Enseigner en milieu rural, un métier difficile

Surtout que pour la plupart d’entre eux, s’établir définitivement à proximité de leurs lieux de travail est inimaginable.

Manque d’infrastructures, incapacité d’adaptation ou tout simplement nostalgie, tous les arguments sont bons pour ne pas s’éterniser dans ces petites écoles au fin fond des compagnes ou dans des montagnes à des centaines de mètres d’altitude. Leur objectif suprême reste le come-back. Pour eux, chaque rentrée scolaire représente le début d’un long calvaire qui durera plusieurs mois, en attendant les prochaines vacances.

Rachid, enseignant depuis douze ans dans une école rurale à 14 km de Khouribga, n’en peut plus. Son réveil est très difficile, presque douloureux ce mercredi 6 septembre, jour de la signature des PV de présence.

Pour ce rendre à son lieu de travail, il s’est réveillé à quatre heure du matin. La galère des 90 minutes de voyage en autocar n’est qu’un jeu comparé aux 14 km de piste qu’il doit parcourir sur une charrette. Il faut une heure et trente minutes pour venir à bout de cette route très poussiéreuse. Puis, les deux derniers kilomètres doivent être parcourus à pied.

«C’est un scénario qui se répète tous les lundis de l’année scolaire. De quoi déstabiliser les plus persévérant», lance Rachid. En effet, ce dernier ne s’est jamais senti chez lui.

Qu’il pleut, qu’il vente ou qu’il neige, il doit absolument rentrer à Casablanca auprès des siens chaque vendredi soir et revenir au travail le lundi matin. «Je ne peux pas vivre toute ma vie de cette manière», affirme Rachid. «Tous mes collègues n’ont qu’une idée en tête : Trouver une école pas loin de chez eux», ajoute-t-il.

Plus ancien que ses quatre collègues enseignants de l’école, Rachid est très privilégié. Il occupe le seul logement de fonction construit par le ministère, à côté de l’école. Deux pièces et une cuisine. Les autres enseignants vivent dans les maisons de fortune qu’ils ont construites eux même à côté de l’école. Pas d’eau courante ni réseau d’assainissement. La boutique la plus proche se trouve à trois kilomètres de l’école. Aucun moyen de distraction.

Rachid et ses collègues comptent beaucoup sur l’électricité nouvellement installée pour apporter un peu d’animation sur les lieux. En effet, notre enseignant a profité des grandes vacances à Casablanca pour acheter un récepteur numérique. Il se réjouit déjà de pouvoir enfin capter des chaînes de télévision internationales.

Les conditions de vie sont encore plus difficiles pour Redouane, enseignant dans une école à 70 km d’Aït Ourir. Lui et ses quatre collègues, logent dans les salles de classe depuis que la maison de fonction n’est plus opérationnelle à cause des fuites d’eau apparues au niveau du toit. Redouane raconte son quotidien avec beaucoup d’humour. «C’est très drôle de donner des cours et en même temps préparer la gamelle pour le déjeuner», indique-t-il.

La situation a été très difficile au début, surtout que la langue maternelle des élèves est le berbère et que Redouane n’en comprenne pas un mot. «Les cours tournaient parfois au ridicule», indique-t-il. Selon lui, la population est très généreuse dans le coin. Chaque jour, quatre étudiants apportent à tour de rôle le pain pour Redouane et ses collègues. Une tradition appelée «Tawala».

Le pain est souvent accompagné d’un peu d’huile d’olive, de beurre ou des œufs. Malgré toutes les difficultés du transport, il est inconcevable pour Redouane de ne pas revenir à Casablanca chaque quinzaine. «Question de se ressourcer», explique-t-il. Afin de profiter de ses week-ends, Redouane prend la route vendredi matin et ne rentre que le lundi soir. Ce qui correspond à trois jours d’absence (vendredi, samedi et lundi).

Redouane affirme que les responsables ne sont pas très regardants sur le degré d’assiduité des enseignants. Une sorte de compensation pour ces enseignants que le ministère «propulse» dans des régions lointaines. La situation est encore plus délicate pour les filles.

Pour Karima qui enseigne à l’annexe d’Oulad Bouassoule à Safrane dans la région de Taounate, outre les conditions de vie difficile pour une citadine (une seule douche toutes les quinzaines, entre autres), il y a toujours des petits malins qui essayent de profiter de la fragilité d’une enseignante isolée.

Autre problème et qui n’est pas des moindres, il est très difficile, souligne-t-elle, de former une famille dans des conditions pareilles. «Nous n’osons même plus rêver de l’âme sœur», se désole Karima.

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Permutations lucratives

Il est très difficile de changer de lieu de travail quand on est enseignant, surtout dans une école en milieu rural. Pour bénéficier de ce privilège, le candidat doit avoir un certain nombre de points selon ses années d’ancienneté (une année d’ancienneté équivaut à cinq points). Pour une école dans une grande ville, Casablanca ou Rabat par exemple, pas moins de 110 points sont nécessaires, soit quelque 22 ans de travail. Et encore.

Les regroupements familiaux et les permutations entre collègues sont aussi possibles. L’attente pour les premiers est de plus en plus longue. «Une collègue a attendu cinq longues années avant de rejoindre son mari, surtout que ce dernier réside à Meknès», affirme Karima.

Malgré la longue attente, certaines enseignantes ont choisi de passer par un mariage blanc, afin d’échapper à ce qui représentent pour elles «l’enfer des petits patlins». De leurs côtés, certains enseignants échangent leurs places avec des collègues contre des pièces sonnantes et trébuchantes.
Les tarifs peuvent atteindre les 30.000 Dhs.

Mohamed Akisra | LE MATIN

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