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Où est passée la volatilité des marchés ?

Leurs bêtes noires aujourd’hui sont les gigantesques investisseurs publics, en particulier les banques centrales asiatiques, avec actifs, qui se comptent en milliards de milliards de dollars. Ces fonds exceptionnels, dont les gestionnaires ne partagent pas nécessairement la passion du gain des investisseurs privés, seraient responsables du manque de versatilité des taux d’intérêt et des taux de change. «Les grandes banques centrales asiatiques nous oppriment !», me confiait récemment un jeune trader.

La situation était bien différente il y a dix ans. Dans les années 1990, les investisseurs privés considéraient les grandes banques centrales, institutions pesantes, comme des vaches à lait, à la fois très riches et peu douées en affaires. George Soros parvint ainsi à soutirer un milliard de dollars à la Banque d’Angleterre en moins d’une heure, grâce à une stratégie classique : miser contre une banque centrale qui essaye de défendre une politique macroéconomique incohérente.

Bien sûr, les spéculateurs ne gagnaient pas toutes les batailles. Ils y laissaient même parfois des plumes : ainsi lors des attaques lancées en 1998 contre l’ancrage du dollar de Hong Kong au dollar américain. Mais, dans l’ensemble, parier contre de grandes institutions financières gouvernementales était une activité très lucrative. Aujourd’hui, en revanche, de nombreux spéculateurs perçoivent ces géants publics, autrefois ineptes, comme des génies de la finance qui, capables de venir à bout de formules complexes, savent tirer parti de leur taille et des informations, dont ils disposent, pour saigner le marché.

Le conservatisme inné de ces mastodontes, responsable de l’apathie des marchés obligataires et des marchés des changes, commence à peser sur le cours des actions. Les banques centrales asiatiques sont rarement accusées d’une conspiration visant à calmer les marchés internationaux, mais l’attitude prudente qu’elles ont en commun s’apparenterait à une collusion implicite.

Malgré toute notre sympathie pour ces jeunes milliardaires en herbe, que penser de leur histoire d’oppression ? Est-il vrai que de grands investisseurs publics en Asie (voire en Russie, en Amérique latine ou au Moyen-Orient) ont discrètement pris le contrôle des marchés internationaux? C’est possible, mais c’est un peu exagéré.

Certes, les grandes banques centrales asiatiques sont assises sur un trésor de presque trois trillions de dollars, dont un trillion pour la Chine. Ce capital est égal à celui accumulé par l’ensemble des principaux fonds spéculatifs de la planète.

Mais ces chiffres sont trompeurs. Les fonds spéculatifs ne représentent qu’un faible pourcentage des marchés financiers qui, d’après une étude récente du McKinnsey Global Institute, dépassent aujourd’hui les 120 trillions de dollars. Et, contrairement aux banques, ces fonds peuvent couvrir leurs paris en empruntant pour acquérir des actifs plusieurs fois supérieurs à leur capital de base. Sans quoi, George Soros et d’autres riches investisseurs n’auraient pas pu s’attaquer à la Banque d’Angleterre.

En réalité, le calme qui règne actuellement sur les marchés a probablement une autre explication. Et s’il ne s’agit pas d’un complot des banques centrales asiatiques, qu’en est-il ?

La faible volatilité qui caractérise la conjoncture actuelle est sans doute en partie cyclique. La bourse a connu une phase semblable au début des années 1990, avant qu’un peu plus tard, elle ne se mette à battre des records.

D’autre part, les innovations financières et la mondialisation permettent aux marchés de répartir les risques plus efficacement en les confiant aux intervenants les plus aptes à les gérer. Autre facteur essentiel, l’amélioration des politiques des banques centrales. Au début des années 1990, le taux moyen d’inflation dans le monde dépassait les 30 %; il est aujourd’hui en dessous de 4 %.

Tous ces changements ont contribué à une baisse générale de la production et à l’instabilité de la consommation, dans les pays riches comme dans les pays en développement. Ces changements expliquent aussi le prix élevé d’actifs à l’origine des fortunes qu’envient les jeunes spéculateurs.

Notre période de calme relatif va-t-elle durer ? Malheureusement, non. Des crises mettront sans doute à l’épreuve le nouveau monde idéal de la mondialisation financière, nous rappelant ainsi qu’une récession est toujours possible.

Pour ma part, si je ne pense pas que cette période d’expansion – déjà cinq années – touche à sa fin, il ne fait aucun doute que les risques augmentent. Avec, à la clé, une baisse rapide de la production aux Etats-Unis au troisième trimestre et des banquiers centraux qui se retrouvent les mains liées par la menace inflationniste. A plus long terme, on imagine sans peine que les marchés puissent être perturbés par une situation géopolitique instable, en rapport par exemple avec l’Iran, l’Irak ou la Corée du Nord.

Quel que soit le scénario qui mettra fin à l’accalmie, celle-ci ne sera bientôt qu’un rêve ancien pour la plupart d’entre nous. Et, pour les spéculateurs financiers dévorés par l’ambition, un cauchemar vite oublié.

(*) Kenneth Rogoff enseigne l’économie et les politiques publiques à l’université de Harvard ; il a été économiste en chef du FMI.
Copyright : Project Syndicate, 2006.
www.project-syndicate.org

Kenneth Rogoff
lematin.ma

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