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45e anniversaire de la disparition de S.M. Mohammed V

Le peuple perdait à la fois un père, un guide et le monde arabo-musulman et africain, le monde entier, en fait, ne pouvait se résigner à la disparition si brutale, à l’âge de raison, d’un leader et d’une figure aussi emblématique.

Quelques mois seulement avant son décès, les images en noir et blanc de la télévision nous le montraient sur le champ de ruines de la ville d’Agadir, détruite après le terrible tremblement de terre qui fit plus de 20.000 morts. Dans le feu de l’action, il n’avait de cesse de soulager la population et d’entreprendre aussi sous sa conduite la reconstruction de la ville.

Mohammed V incarnait, pour tous les peuples du Tiers-Monde, l’image du combattant, de «l’Homme du refus» ayant pâti des injustices coloniales plus que n’importe quel autre. Il était aussi un Roi moderne et imprégné des valeurs de tolérance et d’ouverture. Quand, le 18 novembre 1927, il accédait au Trône en pleine occupation et «gloire » du protectorat, il avait affirmé qu’il ne serait jamais «le Sultan du protectorat».

Les autorités coloniales, notamment les Résidents, de Noguès à Guillaume en passant par Juin, en auront pour leurs grades, tant il est vrai que la conviction patriotique de Mohammed V était ancrée chez lui. Feu Mohammed V avait fini par détruire le protectorat et libérer le Maroc, à force de patience, de résolution, bref d’un combat qui mêlait la dignité, la fermeté et la vision à long terme.
Un mélange de radicalité et de sagesse

Car, Mohammed V avait en lui un mélange de radicalité politique et de sagesse, il jaillissait de lui une manière d’aura qui ne laissait indifférent aucun de ceux qui l’approchaient, y compris de ceux qui s’étaient efforcés de la combattre. La fameuse «grève du sceau» qu’il entreprit les dernières années avant son exil forcé en août 1953, en témoignait.

Elle illustre encore ce qu’on appelle une «tactique de résistance», une manière de guérilla de l’intérieur. Intronisé, il mit en œuvre une stratégie politique : affermir le mouvement national, préserver soigneusement son peuple contre les avanies et la répression, fédérer le peuple autour de la revendication centrale de libération.

Non sans se heurter aux forces d’occupation, il avait réussi à forger une conscience patriotique, notamment après son voyage à Fès en 1934 où une foule immense s’était rendue pour l’acclamer et crier face aux autorités françaises et pour la première fois publiquement Yahia al-Malik … Cet appel sonnait le tocsin à la fois des consciences et du cycle de répression.

La guerre du Rif avait été terminée en 1927, grâce à une coalition diabolique entre la France et l’Espagne -prélude d’ailleurs à une autre coalition du même genre en avril 1958 au Sahara-, mais le nationalisme marocain, embryonnaire peut-être, jeune, indécis encore n’en démordait point. Le Maroc se soulevait de manière sourde encore mais certaine, notamment chez les Aït Baha, les Aït Baâmrane, dans la région du Moyen Atlas, dans la Chaouia où la conquête coloniale ne put arriver à ses fins.

Multipliant les contacts, renforçant son réseau, réfléchissant et méditant, Mohammed V franchissait chaque jour davantage un pas supplémentaire dans la lutte. Et au moment même où la France proclamait l’année 1934 comme celle de la pacification triomphale , un Comité d’action marocaine (CAM) s’est créé, dont l’articulation programmatique reposait sur le Plan des réformes marocaines, soumises en premier pour approbation à Sa Majesté Mohammed V, avant le Résident général français Henri Ponsot et au gouvernement français d’André Tardieu.

Le Plan de réformes s’apparentait certes à un cahier de doléances, timide dans sa formulation, prudent dans ses audaces, mais il reflétait comme une extraordinaire lucidité, une tactique inspirée tout droit du fameux texte de Lénine : Un pas en avant et deux en arrière …

Entre une conduite de prudence et l’exigence politique, le mouvement national travaillait en coordination étroite avec S.M. Mohammed V. La même année 1934 avait été marquée, pour la première fois, par la célébration de l’anniversaire du Souverain qui en fit une occasion institutionnalisée pour prononcer un discours à l’adresse de ses compatriotes.

Un discours d’orientation, en effet, une proclamation hautement politique où des consignes précises étaient données, exhortant le peuple à une impérative prise de conscience et à la mobilisation. Dès lors, le Mouvement national se conforma pendant vingt-cinq ans à l’Appel Royal qui traversa l’Histoire comme une bourrasque ininterrompue.

Mohammed V incarna l’âme et l’esprit de ce combat multiforme, mélange de subtilité diplomatique et de vigilance discursive, une main de fer dans un gant de velours face à l’occupation dont il s’était défait à la Celle-Saint-Cloud avec une remarquable clairvoyance politique et une vision humaniste.

De Gaulle : «La souveraineté au Maroc se confond avec son Souverain»
Mohammed V était le Roi du Maroc, certes. Mais il était aussi le chef d’Etat qui a sacrifié sa vie au nom des valeurs et d’idéaux que l’Histoire s’est chargée de mettre en exergue.

L’unité nationale et territoriale, la liberté et l’indépendance en constituaient, à coup sûr, des axiomes qu’il avait érigés en objectifs suprêmes. Leur défense acharnée lui valut, en août 1953, l’exil en Corse puis à Antsirabé, à Madagascar, ensuite l’hostilité des milieux colonialistes les plus ultras, adossés à des féodalités internes vite repenties.

Le général de Gaulle, qui avait fait du Souverain un Compagnon de la Libération, disait que la souveraineté dans l’Empire du Maroc se confond avec son Souverain . La souveraineté à Mohammed V, en effet, ni les lobbies ni les maréchaux chamarrés ni même la coalition entre les deux ne purent en venir à bout.

Le sinistre Dahir berbère, proclamé en 1930 pour séparer les populations berbères et arabes, zapper l’identité marocaine en quelque sorte, créer une grave césure en son sein, avait débouché a contrario sur une réaction de patriotisme. Et cette réaction s’est cristallisée autour de la personne du Roi, le seul dont la légitimité politique et historique autant que dynastique ne pouvait être mise en cause par les tenants d’un Roi potiche, créature fabriquée malgré lui par les soudards coloniaux et appelé Arafa. L’exil forcé a duré plus de quarante-quatre mois.

Mais il n’a pas démobilisé pour autant l’ardeur combative de Mohammed V. En novembre 1955, le Souverain regagna le Maroc et proclama l’indépendance après un long combat. Il lança cette phrase sous forme de couperet : Nous nous réjouissons de pouvoir annoncer la fin du régime de tutelle et du protectorat et l’avènement d’une ère de liberté et d’indépendance . Il avait eu raison de l’ordre colonial, il lui restait maintenant à bâtir le nouvel ordre.

Feu S.M. Mohammed V avait mis fin au régime d’occupation comme il ouvrit aussi la grande ère de la liberté que ses illustres successeurs, feu S.M. Hassan II et Sa Majesté le Roi Mohammed VI ont confortée.

Libérer le Maroc du joug colonial, jeter les bases d’un Etat démocratique, l’insérer dans le concert des nations, promouvoir la justice et la reconstruction n’étaient pas -tant s’en fallait- tâche aisée. Aujourd’hui, un devoir de mémoire nous impose tous, jeunes et moins jeunes, une démarche rétrospective pour mesurer à quel point il fut un éclaireur à sa manière, colleté à son époque et aux obstacles qu’il surmontait avec une maîtrise et une perspicacité hors du commun.

Enfin, cette affabilité qui se lisait sur son visage. Roi du Maroc et leader du Tiers-Monde ! Combien n’avait-on entendu cette proclamation vertueuse qui colle si bien au Libérateur ? Dans son sillage, feu S.M. Hassan II a parachevé l’intégrité territoriale du Royaume et S.M. le Roi Mohammed VI modernise désormais cette nation si chère et si convoitée.

Hassan Alaoui
LE MATIN

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