L’ecstasy, une drogue festive

L’ecstasy, apparu dans les raves dans les années 90 en Europe, débarque dans les milieux marocains branchés house et techno à l’orée des années 2000. La drogue synthétique, aux effets euphorisants, sexuels et énergisants, pénètre au Maroc par l’Espagne, en provenance des laboratoires clandestins sis aux Pays-Bas, en Belgique et dans les

pays de l’Est. Les fournisseurs sont les réseaux habituels des narcotrafiquants, et, à plus petite échelle, des jeunes de la communauté marocaine à l’étranger qui en ramènent dans leurs bagages chaque été. Inodore, facile à cacher, l’ecstasy traverse facilement les frontières : “des quantités importantes d’ecstasy peuvent être dissimulés dans une simple boîte de médicaments” regrette par exemple un policier des frontières. “Une poignée de trafiquants bien connus à Tanger, Tétouan et Nador, déjà mêlés au trafic de haschich, réceptionne la marchandise et alimente le réseau des dealers spécialisés dans l’ecstasy et la cocaïne” ajoute un commissaire de la Brigade judiciaire de Casablanca. Anouar* est un de ces dealers casablancais spécialisés. Assis dans un café du Maârif, lunettes Emporio masquant ses yeux, plein de twichiates, propre sur lui, branché fêtes, amateur d’ecsta. Il a le profil idéal pour dealer dans le milieu des consommateurs de “taz”, surnom donné à l’ecstasy par les initiés. Parmi ses clients : les “woulad lyaut” comme il surnomme les lycéens de Lyautey, la bande de jeunes qui organise une soirée ecsta-coke-alcool dans une villa discrète d’Anfa, les raveurs de Dar Bouazza et Tamaris où s’organisent des free parties et, last but nost least, les habitués des afters de Bouskoura.

Petit business entre amis

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“J’achète l’ecstasy à 30 DH pièce et je le revends à 50 DH pour une commande minimum de 10 ecstas”, explique Anouar. 50 DH, un prix-plancher qu’il a établi en accord avec deux autres dealers, possédant le même fichier clientèle que lui. Les tarifs fluctuent en fonction de la quantité commandée, mais aussi selon le dosage en MDMA, le principe actif de cette drogue. La colombe, Mitsubishi, Emporio, Kamikaze, Ferrari, Ben Laden… chaque ecstasy a son nom de baptême qui vous renseigne – plus ou moins – sur son dosage en MDMA. C’est ce dernier qui détermine le prix de la pilule. Ainsi, si l’ecsta se négocie entre 70 et 80 DH la pastille au détail, il peut atteindre les 150 DH quand le voyage est garanti : “Avec un Kamikaze t’es sûr de triper deux jours. Par contre, La Colombe n’a plus la cote car elle est sur le marché depuis l’année dernière. Elle est devenue barda (sans effet)”, explique Mourad, consommateur régulier. Ferrari a fait fureur la saison passée, mais la palme revient cependant à la pastille Ben Laden qui se négocie, parfois, jusqu’à 600 DH. Le circuit de distribution est bien connu de la police. C’est celui des boîtes de nuit, l’ecsta étant consommé avant tout pour faire la fête. “Nous n’avons pas l’argent nécessaire pour mener des opérations d’infiltrations dans ces lieux, même si nous savons que c’est là que se déroule le plus gros du trafic” explique, dépité, un commissaire de police. “Nous avons peu de cas de flagrants délits car les revendeurs font leurs transactions par téléphone, les livraisons sont nocturnes et s’effectuent dans un cercle restreint d’habitués”, ajoute un inspecteur de la brigade judiciaire. Presque sûr de ne courir aucun risque, Anouar avait, entre 2000 et 2004, ses entrées dans toutes les boîtes de Aïn Diab et dealait au minimum 60 cachets par nuit, vendus entre 150 et 200 DH pièce. “Je pouvais me faire 1500 DH en moins d’une heure de présence”.

Dealers occasionnels

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Quand le deal dépasse le premier cercle, Anouar met en place un système de rabatteurs recrutés parmi quelques uns de ses bons clients. “L’année dernière lors d’une rave, j’ai dealé toute la nuit à des clients occasionnels, mais jamais directement” raconte t-il. Il a rétribué le petit personnel en accordant une ristourne. Un système vieux comme le monde et qui a déjà fait ses preuves. Mourad achète en moyenne 30 pastilles quand une soirée est prévue dans un cabanon de Sidi Rahal et fait profiter ses amis des tarifs préférentiels que lui accorde son dealer. Redouane, lycéen, se fournit, auprès d’un ami de classe : “Il possède le contact du dealer. Il prend les commandes en prévision de la prochaine rave en échange d’ecstas gratuits”. Par la force des choses, ce sont ces dealers occasionnels qui plongent. “Les revendeurs que nous arrêtons sont dans la majorité des cas des consommateurs issus de milieux aisés qui fournissent leurs amis en échange de doses gratuites. Ils sont d’ailleurs en possession de quantités infimes” explique un inspecteur de la Brigade judiciaire de Casablanca. Ces dealers à la petite semaine, facilement impressionnables, acceptent de servir d’appât pour un flagrant délit. L’un d’entre eux a permis l’arrestation en septembre dernier de trois dealers de l’avenue du 2 mars à Casablanca. De milieux aisés, anciens étudiants à l’étranger, ces derniers ont commencé à vendre de l’ecsta en 2000. L’avenue et les cafés où se faisaient les transactions étaient célèbres auprès des amateurs de trips. Le quartier était même devenu emblématique, autant que peut l’être Derb El Kabir et l’ancienne médina pour le hashish. Suite à cette arrestation, beaucoup de petits dealers-consommateurs ont stoppé toute activité de revente en attendant que le vent mauvais passe. Quant aux plus aguerris, ils ont peur d’être piégés par un “bon client” et redoublent de prudence.

Telquel

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