Driss Amakhchoum, l’autre histoire de Boulouhouch

L’affaire Boulouhouch avait retenu le souffle des Marocains en 1996. Tout le monde se souvient de ce fugitif recherché pendant des mois dans la forêt de la région d’Ifrane et d’Immouzzar. On oubliera difficilement, malgré le temps, ce petit bonhomme trapu qui a mobilisé une véritable armada de gendarmes bouleversant le cours de la vie dans l’Atlas. Au bout de quelques mois passés à se nourrir de gibiers et d’animaux sauvages, la bande d’Azzou Mohamed devient celle de Boulouhouch. Et voilà que le profil d’un truand de grand chemin se dessine dans l’imaginaire des Marocains. Azzou finit par se rendre après une longue cavale dans les montagnes et une psychose qui a marqué la région. Dans ce dossier à ramifications, l’histoire a été grossie par la presse qui a fait de Mohamed Azzou le seul protagoniste de ce sanglant épisode de grand crime qui a défrayé la chronique à cette époque.

On n’a jamais compris pourquoi un tel acharnement sur le personnage d’Azzou, mais lui-même pense que c’est le surnom de Boulouhouch qui «lui a valu une telle fausse publicité». Il suffit de parler à des personnes connues dans le village où a eu lieu ce drame de la famille Azzou pour se rendre compte que cette histoire n’est jamais enterrée. Dans le village, à Aït Bouazza, les gens n’ont pas oublié ce qui s’est passé, ni l’affaire Boulouhouch, l’un des leurs, mais ils refusent de parler. Ils disent encore aujourd’hui qu’ils ne savent rien sur ce qui s’était réellement passé à cette époque, mais une chose est sûre pour tous ceux qui trouvent le courage de parler, même par des bribes et des sous-entendus, Azzou n’était pas le chef de la bande et ce n’était pas lui qui était l’agresseur des touristes qui se risquaient dans la forêt. Première grande vérité dans un dossier plié depuis des années et sur lequel Boulouhouch ne veut même pas revenir disant que «ici, dans la prison centrale de Kénitra, je suis avec Driss Amakhchoum tous les jours et il y a aussi mon frère Mimoun, mais je ne leur parle plus de tout cela. C’est loin et je veux oublier.»

Le véritable chef

On s’est livré à trois, Driss Baalla, Driss Amakhchoum et moi même. Nous sommes allés voir quelqu’un dans le village à qui j’ai demandé de m’aider à me livrer à la police, mais pas ici dans la région. Cet homme influent m’a répondu qu’il allait nous emmener à Rabat. C’est comme ça que nous avons été au ministère de l’Intérieur, et c’est là que tout a pris fin. Azzou se rappelle bien de ce jour, c’était un 22 octobre de l’année 1996. Une date qu’il n’oubliera jamais, une date à jamais gravée dans sa mémoire. Driss Amakhchoum confirme les dires de son ancien compagnon de grande route. On nous a bandé les yeux pendant 6 jours. On n’a jamais su à qui on parlait. Parfois, quelqu’un nous disait que c’était tel ou tel, une fois quelqu’un nous a dit que c’était Driss Basri en personne». Là les paroles de Boulouhouch font écho à celle de Driss qui nous assure en disant : «Moi, je ne savais pas qui était devant moi. Ce que je sais c’est qu’on n’a jamais été ni frappé ni torturé. On nous donnait à manger, on nous parlait calmement. Le procès de Driss, Baala et Boulouhouch a eu lieu et ils écopent tous de peines très lourdes. Azzou, la prison à perpétuité, Driss Baala est condamné à mort. Dans le même sillage, Driss Amakhchoum se voit infliger une peine de mort lui aussi. Sans oublier que Mimoun, le frère de Mohamed Azzou qui a vu son mariage tourner court est aussi condamné et purge la même peine que son frère dans la Prison centrale de Kénitra. Pourtant une question : si Azzou était le chef de bande pourquoi n’a-t-il écopé que d’une condamnation à perpétuité et non de la peine de mort comme Amakhchoum ? S’il était le leader, la logique voudrait qu’il soit lourdement condamné. Pourtant ce sont ses acolytes qui payent le plus fort.

Driss, la légende

Dans la prison centrale de Kénitra, il n’y a pas de secret : « c’est Driss, le Boss, oui c’est lui qui a été à la tête de la bande d’Ifrane et d’Immouzzar. Boulouhouch avait trouvé refuge chez lui et son groupe après les problèmes qu’il a eu avec les gendarmes. Mais vous savez ici en prison, surtout dans le couloir, tout se sait. Driss n’a pourtant jamais chargé Boulouhouch, il n’y a qu’à voir le jugement pour tout comprendre ». Et les avis de ce type se comptent pas dizaines dans le couloir de la mort. Azzou, lui, ne veut pas s’étaler ; Il a raconté son histoire, mais ce qui « regarde Driss c’est à lui de le dire, moi, je suis un type correct, je ne peux jamais parler à la place d’un autre détenu. Vous savez, lui sait et moi je sais, et la vie suit son cours ».

Driss Amkhchoum était recherché bien avant les démêles de Boulouhouch avec la gendarmerie locale. Lui aussi avait une bande, lui aussi était une légende bien plus ancrée dans le paysage que le nouveau fugitif Boulouhouch. Amkhchoum dont le frère est recherché depuis des années violait les femmes. Tout le monde le savait. Je le connaissais, mais je n’ai jamais participé à l’une de ses sorties. Je n’avais rien à voir avec lui. Lui opérait dans un secteur, moi j’avais choisi les hauteurs inaccessibles, là où personne ne pouvait venir me chercher. La version d’Azzou ne souffre aucune ombre. Deux secteurs de travail très distincts. Pourtant Driss dit que le jour où Azzou a eu ses problèmes : «Je l’ai accueilli comme l’un des miens. C’était un type qui avait des ennuis graves et il devait se cacher. Je lui ai donné une place et nous avons cohabité ensemble. ». Driss ne dira jamais si Azzou participait aux grandes sorties de rapt et de viols. Il ne dira pas non plus si son acolyte d’antan approuvait ou désapprouvait les rites de la bande à Driss, «il avait des comptes à régler avec les autorités, c’était une obsession chez lui».

Quoi qu’il en soit les recherches s’intensifiaient puisque beaucoup de plaintes ont été déposées pour attaques et agressions. «J’avais d’autres coups à faire et la police et les gendarmes ne me faisaient pas peur. Vous savez, la forêt était mon terrain de jeu. Je connaissais chaque centimètre de cette terre et les montagnes étaient ce que j’aimais le plus au monde ». Driss livre combat, mais ne dira jamais pourquoi le gang a pris naissance : «On devait s’organiser pour travailler en groupe. Evidemment, les gendarmes nous traquaient, mais jamais ils n’ont pu prendre personne. Je menais mes hommes au doigt et à l’oeil et je dois dire qu’aujourd’hui, je n’ai pas oublié comment nous avions vécu toutes ces années de cavale ». De fait, les affaires criminelles de Driss prenaient de plus en plus d’envergure et les agressions se comptaient pas dizaines.

On parlait de beaucoup de viols, ce que Driss réfute en bloc : « Les femmes étaient folles de moi, vous croyez qu’il me fallait aller prendre une fille et la forcer à coucher avec moi. Non, j’avais toutes les belles de la région, les shikhates et d’autres femmes. Non, je n’ai pas violé de femmes, peut-être quelques-uns de mes gars, mais pas moi». Après une telle psychose, les gendarmes rôdaient au-dessus de la forêt en hélicoptère, une véritable armée qui est sortie pour traquer un homme que l’on disait fou puisque la légende parlait d’un gang de démons qui se nourrissaient d’animaux sauvages. “C’était sans arrêt. On nous cherchait constamment, et on cherchait aussi Driss et sa bande”. Raconte Azzou. Pour Driss, l’épisode des hélicoptères est toujours inoubliable : «Des hélicoptères, des chevaux, des chiens, c’était le cinéma, un grand film. Et les gens avaient plus peur puisqu’ils pensaient qu’il y avait des centaines de recherchés dans la forêt alors que nous étions un petit groupe caché dans la forêt, dans les grottes, sur la montagne.

Pour la police, c’est un épisode terrible puisque la psychose montait à l’époque dans une région où le tourisme local bat son plein. Les gens ont peur, les familles sont terrorisées à l’idée de se trouver un jour entre les mains de ces bandits de grand chemin qui n’ont peur de rien. Des mois durant, les choses restent inchangées. La gendarmerie quadrillait le territoire et Driss, Azzou, Baala et les autres battaient la forêt. «Il nous arrivait de passer très près des gendarmes, mais ils ne se rendaient compte de rien. Nous avions appris à fondre dans la foule, parfois en plein jour par une journée de marché. Oui, tout près d’eux et personne ne se doutait de rien ». Driss marque une pause comme pour remettre les idées en place, puis revient avec précision sur une journée particulière : «On nous a longtemps cherché sans succès jusqu’au jour où nous avons appris qu’ils avaient arrêté les parents d’Azzou. Là, les choses ont changé pour nous tous. Il fallait réagir très vite et ne pas laisser le temps s’écouler sans rien faire pour sauver les parents d’Azzou». C’est là qu’ils décident de commun accord, Azzou, Amakhchoum et Baala, de se livrer à la police, d’arrêter tout ce conflit, d’aller délivrer les parents de leur ami.

L’histoire d’un grand

criminel

C’est à Ktama que tout prend corps. Driss est un type qui a envie de changer de vie. Il va dans le rif pour se faire de l’argent. Il y reste six mois. De Bab Berred, à Bab Taza en passant par Targuiste, Mokrissat, Chaouen et d’autres petits patelins connus de lui seul. Il ne dira jamais ce qu’il faisait exactement, mais ce sont les affaires de drogue qui nourrissaient l’homme. Lui dit qu’il travaillait. En quoi ? Jamais personne ne pourra nous le dire. Drogue et contrebande ? Comme Baala, c’est le même chemin qui les unira celui de la clandestinité très précoce. Il était encore très jeune, Driss, très jeune et pourtant, la vie n’avait plus de secrets pour lui : «Je devait trouver un moyen pour vivre comme je le voulais. Il y avait ces voyages puis, tout le reste. Et je vais vous dire une chose, moi je volais et j’attaquais des gens, mais je ne leur faisais aucun mal. Je prenais l’argent, des habits, des affaires que je pouvais revendre. Mais jamais je n’ai agressé des gens par plaisir de les frapper ou de leur faire du mal.»

Driss voudrait se faire passer pour un Robin des Bois. Il voudrait que l’on le croie chevaleresque et honnête puisqu’il choisissait ses victimes : «des gens riches ou qui avaient de l’argent. On pouvait s’en sucrer et même aider certaines personnes dans le village qui nous donnaient à manger et achetaient des provisions pour nous». Quoi qu’il puisse dire, il y a eu des centaines de victimes à cette période entre Ifrane, Immouzzar et Azrou. À Dayat Awwa, on se souvient toujours d’un rapt en plein jour qui n’a pas eu de conséquences désastreuses puisque la victime a été relâchée. Le modus operandi était simple : vol, kidnapping et demande de rançon. Les viols sont toujours niés à moitié, mais la police certifie, preuves à l’appui, qu’il y en a eus et beaucoup. Qui était derrière ? Ni Driss, ni Baala, ni Azzou ne le diront. Des années durant, la bande à Driss terrorise le voisinage. Et personne ne sait comment mettre la main dessus pour en finir avec un gang que rien ne semblait arrêter.

Les choses se compliquent après les affaires de Boulouhouch ? Et là ce sont à la fois Driss Amakhchoum, Azzou et Baala que l’on cherche. On associe trois grands fuyards et l’affaire se corse. «l’histoire du gibier est vraie, nous avons tous mangé des animaux sauvages. Mais ce n’était pas par plaisir. On n’avait pas de réserves, et il fallait se débrouiller. Non, Mohamed Azzou n’était pas le seul à manger de la bête, nous le faisions tous. Je vous dis que Azzou a été malmené par la presse, mais c’est loin aujourd’hui et plus rien ne changera. Aujourd’hui, nous sommes tous ici, presque toute la bande et on n’en parle plus. On vit autre chose et le passé est derrière nous ».

ABDELHAK NAJIB

07 Novembre 2005

source : Lagazettedumaroc

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