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C’est la lutte finale

C’est une maison traditionnelle de la savane, quatre cases disposées en carré, reliées par des murs en torchis. L’homme s’avance au milieu de la cour cimentée, puis il pose la glacière isotherme à ses pieds. Bientôt, une femme sort de la pénombre, serrant dans ses bras un nouveau-né endormi. La jeune accouchée est seule. Toute la famille est aux champs, pour la récolte du coton. Au visiteur elle ne pose pas de question. D’un coup d’œil à sa chasuble, qui annonce en grosses lettres «L’assaut final contre la polio», la paysanne a compris. Oui, elle sait que la vaccination protège les enfants. Non, son fils n’a pas encore reçu sa première dose. A Bontogbongbong, un village isolé du nord du Togo, les bébés naissent à domicile. Ils ne voient ni médecin ni sage-femme.

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Le geste est impeccablement maîtrisé, à force d’avoir été répété. L’homme pince la bouche du nourrisson entre le pouce et l’index, puis lâche dans le bec ouvert deux gouttes de son flacon réfrigéré. Retranchée derrière le muret d’enceinte, la bande des cousins et des cousines ne perd pas une miette du spectacle. Maintenant, l’inconnu leur fait signe d’approcher. Il saisit le plus audacieux par le poignet, lui passe le bras par-dessus la tête et tire doucement pour s’assurer que la main n’atteint pas l’oreille. Cet examen basique prouve que le garçon n’a pas dépassé 5 ans. Bon pour la vaccination!

L’un après l’autre, les gamins défilent devant Joseph Wagou. L’infirmier, employé dans un dispensaire voisin, est l’un des 10 000 volontaires mobilisés en ce mois de novembre pour immuniser contre la poliomyélite, au porte-à-porte, la jeune génération togolaise au complet. L’opération, qui vise 1 million d’enfants, est concentrée sur trois jours pour limiter le risque que des familles ne se déplacent dans l’intervalle et ne passent à travers les mailles du filet. Dans un pays sans transports publics, dont les pistes sont défoncées par la saison des pluies, l’entreprise est une gageure. «Dans la région des savanes, les vaccinateurs font de rudes journées, témoigne Joseph Wagou. Ils parcourent des kilomètres à vélo car les habitations sont très éloignées les unes des autres.» Sa gratification, le fonctionnaire la trouve avant tout dans la bonne santé de sa communauté. Mais il se félicite aussi d’apporter sa contribution à un dessein planétaire, l’éradication programmée d’un redoutable virus infectieux. A travers le monde, l’épidémie ne sévit plus de manière soutenue que dans trois pays, le Nigeria, le Yémen et l’Indonésie. La fin de l’offensive, coordonnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est annoncée pour 2007. Le rêve, vieux de vingt ans, d’un monde sans polio est sur le point de devenir réalité.

Les Occidentaux, débarrassés du fléau depuis plus d’une génération, ont remisé la poliomyélite au rayon des souvenirs. Et avec elle le poumon d’acier, cette armure terrifiante qui, dans les années 1940, assurait la respiration artificielle des organismes submergés par l’infection. La légende a retenu deux noms, celui du président des Etats-Unis Franklin Roosevelt, la plus célèbre victime de la maladie, et celui du chercheur américain Jonas Salk, qui inventa, en 1955, le premier vaccin (1). Une histoire ancienne, en somme? Pas pour les pays en développement. Leurs habitants sont témoins, au quotidien, des séquelles de cette maladie qui attaque le système nerveux, détruit les neurones moteurs et paralyse les muscles.

A Lomé, la capitale du Togo, ses ravages sautent aux yeux à chaque feu rouge. Ici, un jeune homme, calé sur des béquilles en fer, tend la main en direction des automobilistes. Là, un autre mendiant, les jambes atrophiées, propulse son chariot de cul-de-jatte avec les bras, une tong enfilée sur chaque main. Et pourtant le Togo en a bel et bien fini avec la polio. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, le dernier cas recensé officiellement par l’OMS remonte à l’été 2003.

350 000 malades en 1988
Le «cas», c’est elle, la fillette en tunique qui chahute devant sa maison avec d’autres gamins du même âge. A 4 ans, Rafiatou Soulemane se tient campée sur ses deux quilles. Pour l’instant, leur raideur ne l’empêche pas de courir. Mais son handicap promet de s’aggraver à mesure qu’elle grandira. Quatrième d’une modeste famille de cultivateurs, l’enfant vit à Sagheidon, un bourg très commerçant en bordure de la route nationale menant au Burkina Faso. «Je ne comprends pas comment Rafiatou a pu tomber malade», lâche sa mère, en pointant la page dûment remplie de son carnet de vaccination. L’explication sera donnée plus tard, par l’agent de santé chargé du secteur. «L’enfant n’a pas reçu le rappel indispensable un mois après la première dose, affirme Naya Atchin. Le jour de la campagne nationale, la famille était partie en visite chez des parents burkinabés.» Rafiatou appartient en effet à l’ethnie mossi, établie des deux côtés de la frontière.

Pour éviter qu’un tel dysfonctionnement ne se reproduise, les opérations de vaccination se sont déroulées cette année aux mêmes dates dans 28 pays d’Afrique. Après une longue période de rodage, la machinerie planétaire destinée à débarrasser l’humanité du virus tourne maintenant à plein régime. La maladie touchait encore 350 000 personnes dans le monde en 1988, quand l’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite fut lancée. Depuis le 1er janvier dernier, seulement 1 597 cas nouveaux ont été enregistrés. Les campagnes massives de vaccination n’ont jamais été aussi nombreuses qu’en 2005. Ni les dépenses aussi élevées. Celles-ci dépasseront en effet 600 millions de dollars américains (510 millions d’euros), qui viendront s’ajouter aux 3,2 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) déjà investis en seize ans. Si le scénario imaginé par l’OMS se réalise, les activités d’immunisation devraient ralentir dès l’an prochain, pour cesser définitivement en 2008.

Les croisés antipolio ont réussi à convaincre gouvernements et institutions caritatives de miser des sommes colossales sur le pari hasardeux de l’éradication. Comment? Tout a commencé en 1980, quand l’OMS a proclamé la victoire contre la variole. Promettant des lendemains qui chantent, l’agence des Nations unies a rapidement fédéré les bonnes volontés autour d’un nouvel objectif: le virus qui paralyse les enfants pauvres. En 1988, l’Unicef, les laboratoires du réseau américain des Centres de surveillance et de prévention des maladies (CDC), ainsi que les cercles de notables battant pavillon du Rotary International ont répondu présent. L’Initiative était née. Très engagés, les membres du Rotary représentent aujourd’hui les plus gros donateurs privés, avec une contribution globale de 600 millions de dollars (510 millions d’euros). Ils constituent le deuxième bailleur de fonds, derrière le gouvernement des Etats-Unis.

Dès le départ, les instigateurs de l’Initiative ont utilisé un argument qui continue à faire mouche. Lutter contre la polio dans les régions pauvres du monde, c’est l’intérêt bien compris des pays riches! En effet, le jour où le virus sera éradiqué, plus personne n’aura besoin d’être vacciné à la surface du globe. Les économies ainsi réalisées dépasseront 1 milliard de dollars par an, selon les calculs de chercheurs américains. Les 3,8 milliards de dollars engloutis depuis le début du programme seront donc rentabilisés au bout de quatre ans seulement. Si l’Initiative réussit…

Les microbes viennent du Nigeria
Sur la route du succès, le Togo fait figure d’exemple, parmi d’autres. «Grâce à la technique du porte-à-porte, 90% des enfants au moins sont immunisés, même dans les régions les plus reculées», affirme le Dr Kadri Tankari, responsable de l’OMS à Lomé. Or ce pays exsangue avait bien peu d’atouts pour réussir à élaborer un dispositif aussi sophistiqué que les Journées nationales de vaccination. Son niveau de vie figure parmi les plus bas au monde. Ses habitants viennent de connaître trois mois d’émeutes meurtrières, après le décès, en février, du président Gnassingbé Eyadéma, qui régna trente-huit ans durant. La prise de pouvoir contestée de son fils, sur fond de fraude électorale, a compromis la normalisation des relations entre le régime et la communauté internationale.

Et pourtant, la campagne de vaccination s’est tenue en novembre, comme prévu. Les flacons sont arrivés à destination. Les dispensaires de brousse avaient été livrés en bonbonnes de gaz pour le fonctionnement des réfrigérateurs. Et les volontaires étaient au rendez-vous. «Leur motivation ne faiblit pas, car ils sont payés», remarque le Dr Tankari. Leur mission, qui exige seulement de savoir lire et écrire, est en effet indemnisée 2 000 francs CFA par jour (3 euros). Cette gratification représente le double du salaire courant d’un employé sans qualification.

Mais ni le Togo ni aucun autre pays ne peut crier victoire tant que des virus continuent à circuler quelque part dans le monde. A tout moment, une épidémie localisée peut se propager à distance et ruiner les efforts accomplis. La polio vient ainsi de réapparaître dans 16 pays d’Afrique et en Indonésie. Et tous ces microbes ont une seule et même origine: le Nigeria. Ce pays fédéral connaît actuellement une flambée de la maladie, après que les campagnes de vaccination ont été interrompues pendant toute une année dans les Etats du Nord. En 2003, les autorités musulmanes locales ont en effet dénoncé ces opérations comme un complot occidental destiné à rendre les femmes stériles et à transmettre le sida à la population.

La situation s’est finalement débloquée quand l’OMS a invité une délégation nigériane à visiter les unités de production de vaccins en Indonésie, pays à majorité musulmane. Lors de sa dernière réunion, au mois d’octobre, le comité technique de l’Initiative a assuré que la polio pouvait être vaincue dans les derniers pays touchés d’ici à six mois. Sauf au Nigeria, où les spécialistes tablent sur douze mois. Au petit jeu des prévisions, les experts n’ont plus droit à l’erreur. Initialement promise pour l’an 2000, la perspective de l’éradication a déjà été repoussée à deux reprises. Les donateurs, qui ont accepté de remettre au pot, pourraient déclarer forfait si l’échéance de 2007 n’était pas respectée.

(1) Histoire de l’éradication de la poliomyélite, par Bernard Seytre et Mary Shaffer. Presses universitaires de France, 2004.

Source : L’express

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