L’Algérie va lancer un plan Marshall pour doper son économie

Relancer la croissance par la dépense publique, c’est le pari lancé par le président Bouteflika pour les quatre années à venir. Ceux qui n’approuvaient pas ce choix ont été écartés : Abdellatif Benachenou a ainsi perdu son portefeuille de l’économie et des finances le 1er mai.

Pour financer le programme prévu, le gouvernement mobilise l’argent du gaz et du pétrole. Nul besoin de recourir à l’emprunt. Jamais, depuis l’indépendance, l’Algérie n’a possédé un tel trésor : 41 milliards de dollars de réserves de change !

La marge de manoeuvre est d’autant plus grande que le budget 2005 a été établi sur la base de 19 dollars le baril : or celui-ci frôle aujourd’hui les 60 dollars. Sans compter que, dans les caisses des banques publiques, dorment quelque 20 milliards de dollars…

Si l’argent coule à flots en Algérie, la prospérité ne suit pas. Le chômage reste la préoccupation majeure. Certes, le taux d’inactivité a baissé ­ de 30 % en 1999 à 17,7 % aujourd’hui, selon les statistiques officielles ­ mais il continue de frapper massivement les moins de 25 ans. Un jeune sur deux est sans emploi. Et le taux de croissance (6,8 % en 2003, 5,2 % en 2004) est trop bas pour résoudre le problème.

Crise du logement, pénurie d’eau, infrastructures obsolètes ou inexistantes, absence de moyens de transports…. Tous ces maux qui empoisonnent la vie des Algériens et les font régulièrement descendre dans la rue seront résolus d’ici 2009. C’est l’engagement pris par Abdelaziz Bouteflika lors de sa campagne électorale pour un deuxième mandat, il y a dix-huit mois. Le président a l’intention de tenir ses promesses , déclare son entourage, en faisant valoir que le PCSC va permettre à l’Algérie de se moderniser tout en relançant l’emploi. Pari impossible ? Pari risqué, en tout cas.

Premier chantier : l’habitat. L’objectif annoncé est de créer un million de logements. Se loger est un cauchemar en Algérie. Les familles s’entassent à dix dans un deux-pièces. Dans ce domaine, pas de nette amélioration ces dernières années. C’est vrai, on a pris du retard, mais nous avons eu des catastrophes imprévisibles : les inondations de Bab el-Oued -novembre 2001- puis le tremblement de terre de Boumerdès -mai 2003- , souligne-t-on à la présidence, en assurant que les programmes lancés lors du premier mandat, (la location-vente notamment) porteront bientôt leurs fruits.

Les travaux publics et le secteur des transports constituent l’autre grand chantier à venir. L’autoroute Est-Ouest, promise depuis longtemps mais jamais réalisée (à l’exception d’un tronçon aux environs d’Alger), devrait être le fleuron de ces travaux, de même que le métro d’Alger. Les chemins de fer, quant à eux, feront l’objet d’importantes rénovations : 1 200 km de voies ferrées nécessitent d’être modernisées ou doublées et plusieurs centaines d’autres créées.

Electrification des zones rurales, alimentation en gaz, poursuite de l’effort pour la relance de l’agriculture, dessalement de l’eau de mer, rééquilibrage du développement des régions…, la liste des objectifs à atteindre est immense.

Si l’utilité de ce plan est unanimement reconnue, sa mise en oeuvre laisse sceptique les économistes. L’administration ­ qualifiée le plus souvent de pléthorique , incompétente et asservie ­ sera-t-elle capable de mener une opération d’une telle envergure ? Les experts en doutent. L’administration actuelle est incapable de gérer un budget de 55 milliards de dollars. Elle l’a prouvé avec le précédent plan de relance économique -2001-2004-, qui n’a été consommé qu’à 64 %, alors que son montant était dix fois moins élevé , souligne Mohamed Cherif Belmihoub, professeur à l’Ecole nationale d’administration (ENA) d’Alger.

Pour cet économiste, une somme aussi colossale est source de gaspillage et de corruption . Une fois de plus, regrette-t-il, on finance le statu quo, au lieu de financer les réformes .

Professeur au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), Slimane Bedrani souligne, lui aussi, les risques de gabegie. Il note que dans tous les domaines ­ agriculture et travaux publics notamment ­ le gouvernement injecte des sommes astronomiques, sans chercher à privilégier les solutions les moins onéreuses. Pour Ihsane El-Khadi, journaliste économique, il est trop tôt pour condamner sans appel le plan complémentaire de soutien à la croissance, même si les craintes sont justifiées. Il y a un tel retard dans les infrastructures que le rattrapage prévu peut avoir des effets plus bénéfiques qu’on ne le pense , souligne-t-il, avant d’avouer un regret : que la modernisation institutionnelle ne soit plus considérée comme une priorité.

L’Algérie va-t-elle réussir, dans ces conditions, sa transition d’une économie rentière à une économie productive ? Les experts en doutent. Il est vrai que le pouvoir n’a pas de raison de changer une recette qui gagne, ajoutent-ils, ironiques ou fatalistes.

L’allusion vise les rallonges budgétaires octroyées généreusement par le président Bouteflika aux willayas (départements) lors de sa campagne électorale, en 2004.

Le chef de l’Etat pense-t-il déjà à un troisième mandat ? Beaucoup s’en disent persuadés. Sa détermination à faire aboutir dans les temps ses travaux pharaoniques en est un signe, estiment-ils.

La population, quant à elle, ne retient qu’une chose : Les caisses de l’Etat sont pleines. Le cours du pétrole ne cesse de grimper. Le terrorisme est en voie d’extinction. Décidément, notre président a la baraka ! S’il y a désillusion un jour, elle sera à la mesure de l’attente : considérable.

source:lemonde

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