George Soros dénonce la guerre de Bush contre le terrorisme

Ce complot, déjoué grâce à la vigilance des services de renseignements britanniques, aurait pu faire encore plus de morts que les attentats du 11 septembre, mais ce ne sera sûrement pas la dernière tentative de ce genre. Il est malheureux que l’opinion américaine ait accepté cette métaphore guerrière comme la seule réponse au 11 septembre.

Alors que pour la majorité des gens l’invasion de l’Irak apparaît comme une erreur, la «guerre contre le terrorisme» reste le cadre de la stratégie américaine, au point qu’aux Etats Unis la plupart des élus de l’opposition démocrate continuent d’y souscrire par crainte d’être accusés de faiblesse sur les questions de défense.

Ce soutien persistant à la guerre contre le terrorisme nous conduit droit dans le mur. Par sa nature même, cette guerre fait des victimes innocentes puisqu’elle vise des terroristes qui le plus souvent se cachent au sein de la population civile. Les morts, les blessés, l’humiliation nourrissent la colère et le ressentiment avec pour résultat que les organisations terroristes n’ont aucun mal, à chaque nouvelle tragédie, pour recruter d’autres recrues. La définition du terrorisme est devenue si abstraite qu’elle finit par englober toutes les organisations politiques qui ont recours à la violence.

Pourtant Al-Quaïda, le Hamas, le Hezbollah, en Irak, les réseaux de l’insurrection sunnite et de l’armée chiite du Mahdi, sont des mouvements très différents. A cause de la guerre mondiale contre le terrorisme décrétée par le Président Bush, nous sommes incapables de distinguer ce qui les sépare. Cet aveuglement empêche des négociations hautement souhaitables avec l’Iran et la Syrie qui, du fait de leur soutien aux groupes terroristes, sont désormais infréquentables.

Comme les Britanniques viennent de le prouver, des services de renseignements efficaces constituent la meilleure riposte à des groupes comme Al-Qaida. Inversement, l’accent mis sur les interventions militaires contribue à accroître la menace terroriste et rend plus difficile le travail des services de renseignement. Oussama Ben Laden et Ayman Al-Dawahiri courent toujours, alors qu’il est toujours aussi urgent de mettre la main sur eux pour empêcher des attentats comme ceux qui viennent d’être déjoués en Angleterre.

Finalement, la guerre contre le terrorisme creuse le fossé entre «nous» et «eux». Nous sommes des victimes innocentes et seuls les autres sont coupables de crimes. Les Américains ne voient pas que, pris dans ce cycle infernal, ils se sont aussi rendus coupables de crimes. Mais le reste du monde, lui, s’en rend bien compte. Une différence de perception qui affaiblit gravement la crédibilité de l’Amérique sur la scène internationale.

Tous ces facteurs font que la guerre contre le terrorisme est impossible à gagner. Or une guerre sans fin menée contre un ennemi invisible ne peut que porter gravement atteinte non seulement à notre autorité et à notre prestige dans le monde mais également à notre propre société.

Cette situation entraîne un accroissement dangereux des pouvoirs de l’exécutif, elle affaiblit notre adhésion aux droits de l’Homme et elle remet en question le processus critique qui est au cœur d’une société ouverte. La guerre contre le terrorisme coûte énormément d’argent qui serait mieux employé à soigner nos blessures sociales. Enfin, elle détourne l’attention d’autres problèmes urgents qui nécessiteraient le leadership américain. Qu’il s’agisse de terminer la tâche entreprise en Afghanistan, de faire face à la crise de l’énergie qui pointe à l’horizon ou de lutter contre la prolifération nucléaire.

L’influence américaine étant en train de décliner, le monde risque de sombrer dans un cercle vicieux d’escalade de la violence. Si nous persévérons dans la même direction, les choses ne feront qu’empirer. Ce n’est pas notre volonté qui est testée, mais notre compréhension de la réalité. Il est difficile d’admettre que la situation dans laquelle nous nous trouvons est la conséquence de nos idées fausses. Mais si nous refusons de changer, les conséquences à long terme seront encore plus graves.

La force d’une société libre repose sur sa capacité à reconnaître ses erreurs et à les corriger. C’est le grand défi que nous devons relever.

* George Soros, financier et philanthrope américain.

Copyright : Project

Syndicate 2006. www.project-syndicate.org

Commentaires