En Chine, des révoltes de paysans spoliés défient les autorités

L’important, c’est que les usines soit arrêtées. Il y a des jours où tout le monde avait les yeux rouges. Et puis on pouvait avoir envie de vomir , dit une femme. Il y a eu assez de cancers et de malformations à la naissance pour que les habitants commencent, il y a quelques années, à blâmer les pollueurs. Mais le gouvernement local ne nous a jamais soutenus , dit un villageois.

Pendant une dizaine de jours, les insurgés n’ont pas été inquiétés. Nous nous sommes débarrassés des policiers nous-mêmes. Ils n’ont pas osé revenir , dit un homme. Des centaines de curieux venus des villages alentour passent chaque jour admirer les trophées de la colère : voitures et bus renversés, uniformes et casquettes de policiers. La presse chinoise n’en a pas soufflé mot. Vers le 20 avril, les autorités ont fait enlever les véhicules endommagés. Un grand panneau a été placé à l’entrée du parc industriel, interdisant à tout chargement de circuler. Les travailleurs migrants ont déserté les lieux. Puis de petits livrets ont été distribués aux familles : ils comportent la loi sur la protection de l’environnement, et une loi sur le respect de l’ordre public. Enfin, un avis ordonne aux responsables des destructions du 10 avril de se livrer à la police. Depuis, une terreur diffuse a gagné les demeures.

Entre deux petits immeubles, les villageois s’attroupent et racontent : Ils ont commencé à arrêter des gens le 21 mai. Ils viennent en civil. Même des gens qui n’ont pas pris part aux émeutes peuvent être arrêtés. Nous sommes inquiets, on ne sait pas ce qui va arriver , dit une femme. En bordure d’un des villages, Wang Fagen tient un atelier de recyclage. L’homme est sans nouvelles de son fils, 25 ans, depuis le 25 mai : On l’a appelé pour qu’il se rende au poste de police. Il avait participé à la destruction d’une voiture. Il y est allé. Quelqu’un qui avait été arrêté et est revenu a dit qu’il avait été battu , dit-il. Nous sommes tous inquiets pour lui. C’est un bon garçon. Mais on ne connaît personne au gouvernement , implore une voisine.

SYSTÈME ARBITRAIRE

Déjà nombreuses en Chine, les jacqueries paysannes prennent un tour de plus en plus violent : d’abord perplexes et démunies face à des gouvernements locaux soucieux de s’enrichir en favorisant de nouvelles implantations industrielles à la campagne ­ les zones urbaines saturent ­, les communautés rurales sont aujourd’hui de moins en moins crédules et soumises. Elles ont vite abandonné tout espoir de retombées économiques : les salaires sont trop bas et les usines emploient des migrants venus de contrées plus pauvres.

Outre la pollution, c’est la question des terres qui nourrit les plus grandes rancoeurs : à Huankantou, comme à Wuli, les paysans estiment que le gouvernement les a privés des terres qu’ils étaient censés pouvoir cultiver pendant trente ans, l’Etat restant, en Chine, propriétaire.

La presse chinoise, qui se fait rarement l’écho de ces incidents, a pourtant rapporté une autre dérive : à Shengyou, dans la province du Hebei ­ située autour de Pékin ­ un village qui refusait les compensations prévues pour qu’une centrale électrique s’installe sur ses terres, a été victime de violentes représailles. Il y a deux mois, une vingtaine de jeunes s’en sont pris aux villageois, qui sont parvenus à capturer l’un de leurs assaillants. Samedi 11 juin, 300 autres jeunes, armés de fusils et de matraques, ont fondu au petit matin sur le village. Six paysans ont perdu la vie lors des affrontements et une centaine ont été blessés. Le maire et le chef du Parti communiste du chef-lieu auraient été démis de leurs fonctions. C’est le contractant de la centrale électrique, interpellé depuis par la police, qui aurait formé le commando.

Le développement débridé des provinces et l’enrichissement de caciques locaux aux dépens des populations ne sont pas du goût du gouvernement central, mais celui-ci a parfois du mal à imposer ses décisions. De telles dérives sont aussi le produit d’un système arbitraire, sans recours légal ni réel contre-pouvoir. La concession de l’exploitation des terres aux paysans avait permis jusqu’alors le maintien d’une agriculture de subsistance dans les campagnes, et de ralentir l’exode rural et ses effets secondaires, comme la formation de bidonvilles et une trop grande paupérisation des migrants. L’industrialisation à outrance fragilise cet équilibre, et menace la sacro-sainte stabilité du pays.

Brice Pedroletti

source:lemonde

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