Quinze ans de prison pour un malentendu

Ali, trente-neuf ans, avait les yeux hagards quand il s’est présenté devant les magistrats de la chambre criminelle, premier degré, près la Cour d’appel de Casablanca. Son avocat a déjà entamé la lecture des requêtes pour vice de forme ; il reprochait surtout à la police de ne pas avoir informé la famille d’Ali de son arrestation comme cela a été souligné dans la procédure pénale. Cette violation procédurale, a précisé l’avocat, entraîne l’annulation du procès-verbal dressé par les enquêteurs de la police. Ali, qui l’écoutait attentivement, est resté de marbre. Au fond, il s’attendait à être interrogé. Qui est-il et quel est son crime ?

Issu d’une famille nécessiteuse de la région de Taounate, Ali n’a jamais mis les pieds à l’école. Analphabète, il est resté chez lui, sans la moindre activité, durant toute la période de son adolescence. Sa petite famille lui rassurait tout. De fil en aiguille, il s’est lancé dans le domaine de l’agriculture. Journalier de son état, il a commencé à subvenir aux besoins de ses parents. Puis, il s’est marié. Une année plus tard, la naissance d’un enfant égayera le foyer, notamment l’heureux papa. Mais voilà, toujours est-il que le bonheur est éphémère. Les charges ont commencé à s’alourdir à mesure que l’enfant grandit. Il ne pouvait plus répondre aux besoins ni de ses parents ni de son propre foyer. La solution ? Quitter son douar à la recherche d’un emploi digne qui lui permettra d’avoir un salaire digne. Il a emballé ses affaires pour un premier déplacement à Fès. À défaut d’un boulot, il a rejoint son cousin à Rabat. En vain. Il n’a rien trouvé. A part peut-être de l’autre côté de l’estuaire Bouregreg, à la ville de Salé, où il est arrivé à travailler dans des chantiers de construction. Quelques mois plus tard, il a emballé encore une fois ses affaires pour rejoindre son oncle à Casablanca. Ce dernier l’a aidé à travailler dans un chantier de construction. Après avoir loué une chambre avec voisins à Hay Hassani, il fait appel à sa femme et son petit enfant. S’agissant de ses parents, il leur envoyait de temps en temps une somme d’argent. Au bout d’un an à Casablanca, son foyer a été égayé d’un second enfant. Mais tout a basculé en une seconde pour qu’il soit impliqué dans une affaire de meurtre. Comment ?

Saïd était son ami depuis pas moins de huit mois. Ils travaillaient tous les deux au même chantier de construction. Ils passaient ensemble leur moment de repos. Mais tout d’un coup, un malentendu vient mettre en danger leur amitié.

Les deux amis partageaient le même déjeuner quand Saïd commençe à reprocher à son ami, Ali, d’avoir entendu l’un de leurs collègues en train de l’insulter sans réagir.

Ali lui a expliqué que leur relation ne l’oblige à intervenir que pour le bien et non pas pour le mal. Il lui a précisé qu’il ne pouvait pas réagir pour que les choses se calment. Saïd qui ne voulait rien comprendre a continué à lui faire le même reproche au point qu’Ali a commencé à perdre le contrôle de ses nerfs. Et tout d’un coup, Saïd s’est levé de sa place pour commencer à injurier son ami qui est resté bouche bée. Saïd n’a pu retenir ses nerfs. Il a continué à l’insulter sans qu’Ali réagisse. Ce dernier est resté planté à sa place. Il ne savait pas pourquoi son ami a perdu complètement le contrôle de ses nerfs. Il ne l’a jamais vu dans pareil état. Des collègues sont intervenus pour le calmer. En vain. Soudain, Ali a saisi un couteau qui était déposé sur une petite table pour se lancer comme un taureau sur Saïd en lui a assénant deux coups, dont l’un planté au niveau du cou a été fatal. Évacué aux Urgences de l’hôpital Averroès, Saïd a rendu l’âme. Et Ali est arrêté. « Mais je n’avais pas l’intention de le tuer, M. le président », a-t-il tenté d’expliquer à la Cour. Seulement, il n’a pas pu expliquer pourquoi ses deux coups étaient fatals. Le jugement rendu dans cette affaire, quinze ans de réclusion criminelle, traduit la gravité de son acte.

Par : Abderrafii ALOUMLIKI

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