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Quand la France dit non

On peut dresser une comparaison plus exacte avec le rejet en 1954 du traité portant création d’une Communauté européenne de défense (CED). Dans les deux cas, une erreur historique majeure a été faite. La France était dans une large mesure à l’origine de ces deux traités, avait réussi à les faire accepter par ses partenaires européens, et a finalement opposé son veto. Pourquoi, en 1954 et en 2005, les Français – l’Assemblée nationale dans le premier cas, les électeurs dans le second – ont-ils rejeté les propositions qu’ils avaient eux-mêmes formulées ? Les deux projets visaient la construction d’une Europe véritablement supranationale.

La CED aurait créé une armée européenne, comprenant même un contingent allemand. Le traité devait aussi être renforcé par une communauté politique européenne, dont les principales caractéristiques auraient été définies par une commission constitutionnelle composée de membres des parlements nationaux. Concrètement, cette commission aurait été le précurseur de la Convention sur l’avenir de l’Europe qui en 2003-2004, sous la direction de l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing, a rédigé le traité constitutionnel.

La communauté politique que la France avait persuadé ses cinq partenaires européens d’accepter dans les années 1950 devait absorber à la fois la Communauté européenne du charbon et de l’acier et la CED. Elle aurait été dotée de compétences diplomatiques et militaires, ainsi que d’une assemblée législative semblable au Parlement européen que nous connaissons.

De même, le projet constitutionnel de 2005 aurait élargi les compétences du Parlement et établi un ministre européen des Affaires étrangères.

Pourtant, hier comme aujourd’hui, les peurs et les doutes l’ont emporté. Les partis politiques et tous ceux qui ont mobilisé l’opposition à la CED craignaient la remilitarisation de l’Allemagne et voulaient préserver la souveraineté de la France.
Quant à la Constitution européenne, ses opposants sont parvenus à stigmatiser «l’Europe». En brandissant la menace de l’invasion des «plombiers polonais», ils ont remis en cause les deux réalisations majeures de la construction européenne : le marché commun, qui a sans aucun doute favorisé l’économie française, et l’élargissement, qui a tant fait pour favoriser la transition démocratique dans les nouveaux Etats membres.

Mais le résultat du référendum de 2005 a des conséquences plus graves que le rejet de la CED. Dans les années 1950, les ministres des Affaires étrangères se sont tournés vers leur collègue belge, Paul-Henri Spaak, pour envisager d’autres possibilités. A l’issue de débats animés, en particulier entre la France et l’Allemagne, le Traité de Rome a été rédigé et signé dans les deux ans suivant la débâcle de la CED.

En revanche, deux ans après le «Non» des Français et des Néerlandais, aucun Plan B ne se profile, contrairement à ce qu’avaient laissé entendre les politiciens français opposés au traité constitutionnel. La locomotive européenne franco-allemande est en panne et le processus de ratification s’est arrêté, alors que certains pays auraient pu le mener à bien.

L’influence de la France en Europe n’est plus un enjeu. C’est un concept qui suppose que la préoccupation majeure des Etats membres est de promouvoir leurs propres intérêts. Si le projet européen ne consistait qu’à dominer les pays partenaires, il y aurait constamment des conflits. En vérité, l’Europe avance, mais petit à petit et grâce à des compromis mutuels.

La vraie question concerne plutôt la crédibilité de la France et sa capacité à demeurer une force motrice en Europe.

Un journaliste estimait récemment que le rôle particulier de la France en Europe s’explique par sa position centrale, qui signifie que les Français sont à la fois ouverts au monde et attachés à leur pays. Ils participent aussi avec succès à l’économie de marché tout en s’efforçant de préserver un modèle social égalitaire. Le « Non » a terni cette image équilibrée de la France. Les Français sont aujourd’hui les premiers à se plaindre de leur situation, et ils ont même inventé un nouveau concept – «la déclinologie» – pour décrire cette perte de confiance en eux.

Par ailleurs, le «Non» a donné une nouvelle légitimité aux eurosceptiques d’autres Etats membres. Certes, les Français ne sont pas responsables de la montée du populisme en Europe ; le nationalisme est profondément enraciné dans l’histoire européenne et a des causes multiples. Mais le résultat du référendum français a alimenté les craintes d’autres gouvernements européens, qui pensent que toute nouvelle proposition visant à relancer le projet constitutionnel est vouée à l’échec aux niveaux national et européen.

Pourtant, ce n’est pas en réduisant les aspirations européennes aux objectifs de la Realpolitik que l’on sortira de cette crise. Les Européens doivent se rendre compte que l’union fait la force, et que l’intégration européenne nécessite un cadre constitutionnel commun capable de promouvoir une identité commune.

Pour surmonter cette crise, il faut penser en termes de souveraineté européenne, et cesser de se tracasser pour la souveraineté nationale.

Copyright : Project Syndicate/Europe’s World, 2007. www.project-syndicate.org www.www.europesworld.org. Traduit de l’anglais par Emmanuelle Fabre Turner.

Noëlle Lenoir
LE MATIN

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