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Mineures et prostituées : La vie perdue des fillettes de Casablanca

BOUCHRA, du haut de ses 19 printemps ne veut plus vivre dans la maison familiale. Cela dure depuis 5 ans. C’est fini, je ne retournerai plus jamais à la maison, je préfère désormais vivre avec mes propres moyens, dit-elle d’un ton ferme à ses amies qui essaient de la raisonner, en vain. Depuis, cinq ans, elle n’a pas mis les pieds dans ce qui était jusqu’alors le domicile familial. Elle est sans domicile fixe, à la merci de toutes les agressions de la rue et s’accommodant d’un mode de vie qui ne sied guère à une jeune fille de son âge. Elle raconte son histoire avec un certain détachement qui n’étonne plus que ceux qui ne la connaissent pas. Elle a été adoptée par un ami de son père qui n’avait pas eu d’enfant. Elle n’a jamais manqué de rien ; à la limite, elle était une fille gâtée. Ses parents adoptifs ont toujours répondu au moindre de ses caprices. Personne n’a jamais osé lever la main sur elle, explique Amina, la femme de ménage qui lui a également servi de gouvernante et qui la connaît depuis qu’elle avait deux ans. Mais apparemment, cet excès d’amour ne lui a pas été très utile. En effet, elle n’a pas eu un parcours comme ses autres camarades. Au collège, elle a refait la cinquième année à trois reprises sans avoir eu de moyenne de passage pour le lycée. Quand enfin elle a réussi, c’était pour abandonner définitivement les études la même année. Alors, elle restait à la maison ne s’occupant que des questions de mode et attendant patiemment que ses amies, qui poursuivaient toujours leurs études, aient bien le temps de prendre un café avec elle. Quand lui en venait l’envie, elle sortait pour se faire prendre en stop par des automobilistes qui avaient souvent l’âge de son père. Elle savait pourtant que c’était une vie qui ne pouvait pas continuer, comme avait l’habitude de lui répéter son père adoptif. Il le lui dira d’ailleurs jusqu’à son dernier souffle, sur son lit de mort. Les relations avec sa mère adoptive se sont détériorées, parce que cette dernière ne pouvait pas tolérer les libertinages de celle qu’elle a toujours considérée comme sa vraie fille. Bouchra a alors essayé de se tourner vers sa famille biologique. Mais là également, sa réputation jouera contre elle. Il n’est pas question de rester sans rien faire, sans poursuivre ses études, sans s’inscrire dans une école de formation, lui a dit son père, comme elle le raconte elle-même. A deux reprises elle essayera de retourner au domicile de sa vraie famille. Et, par deux fois, elle sera mise à la porte après un court séjour, malgré les tentatives de conciliation de sa mère. Il est vrai que le cas de Bouchra est d’autant difficile à défendre, qu’elle avait effectué trois séjours en prison pour mineurs pour avoir agressé et blessé une amie à l’arme blanche, volé dans un magasin de vêtements et recélé des objet qu’un de ses nombreux petits copains avait subtilisés.

J’ai dormi dans les jardins, je me suis prostituée…

Pourtant, à aucun moment, elle ne se considère fautive. C’est la faute aux parents, ils doivent essayer de nous comprendre plutôt que d’essayer de nous imposer leur façon de vivre, explique-t-elle. Et d’ajouter : je n’ai pas choisi d’échouer à l’école, donc ce n’est pas de ma faute. Cette phrase, elle la répète au moins une dizaine de fois, comme si elle lui collait à la langue. Mais, on sent bien qu’elle se bat avec elle-même pour ne pas s’effondrer. Malgré les apparences, il y a beaucoup de regret dans sa voix, quand elle raconte son histoire. J’ai dormi dans les jardins, je me suis prostituée, je me suis droguée au haschich et aux pilules, explique-t-elle, ne pouvant plus supporter le moindre regard. Elle baisse les yeux un instant, puis revient à elle-même et poursuit. Je sais que c’est mal de faire tout cela, mais je n’avais pas le choix, mes parents m’ont mise dehors. Elle n’a toujours pas le choix d’ailleurs. Car, le Boulevard Mohammed V est pour l’heure son unique domicile. C’est ici, à même le perron, qu’elle dort chaque nuit après avoir assouvi les désirs de quelque taximan habitué, ou d’un autre de ses clients. Quand la police rode, dans les environs, elle se réfugie vers l’ancienne médina dans le jardin qui se trouve non loin du quartier Bouchentouf.

Pendant un an, son père la violait…

Ce territoire n’est pas celui de Bouchra, mais plutôt celui d’un autre groupe de jeunes filles. Il est environ 22 heures, quand le petit groupe commence à se former. Des jeunes filles, en jeans, derrière de grosses jaquettes et les cheveux mal rangés se retrouvent encore une fois. Elles étonnent par leur jeune âge. Certaines ont à peine 13 ans, alors que la plus âgée doit avoir 17 ans. C’est sans doute pourquoi Bouchra pense qu’elle ne peut pas faire partie de ce groupe. Aïcha, 16 ans, affirme avoir fui la maison de ses parents parce que son père abusait d’elle. Chaque nuit, il venait me trouver dans notre chambre avec ma petite sœur, explique-t-elle. Elle n’avait que 12 ans quand il a commencé à faire ce qu’il appelle un simple jeu. Au début, il ne faisait que lui caresser les jambes, ensuite il ne pouvait plus se retenir. Pendant plus d’une année, il l’a violée sans qu’elle n’ose le dire à sa mère. De toute manière, ma mère ne pouvait pas ne pas savoir, dit-elle sèchement, la voix teintée de honte et de regret. Je pense surtout à ma petite sœur, dit-elle. Elle a à peine 6 ans, mais bientôt mon père recommencera son jeu, s’il ne le fait pas déjà. En tout cas, depuis deux ans, elle a pris le peu d’affaires qui pouvait tenir dans un sac et elle a quitté son El Jadida natal. Elle ne savait où aller, alors elle s’est dirigée vers Casablanca. Elle est arrivée l’après-midi d’un lundi et a passé ses premières nuits au quartier Oulfa avec des ouvriers du bâtiment qui logeaient dans leurs propres chantiers. Chaque nuit, elle vivait la même chose, à la différence qu’au lieu de son père comme amant, trois personnes couchaient avec elle à tour de rôle. Une semaine plus tard, le chef du chantier l’ayant découverte, l’a mise dehors. Elle est revenue en ville et depuis, elle squatte le jardin du Bouchentouf. Parmi toutes les filles, c’est avec Asma qu’elle est la plus liée. Il y a bien longtemps qu’elle n’est plus sa confidente, car ce n’est que dans les premiers jours qu’on a quelque chose à confesser et qu’on se plaint, dit-elle avec philosophie. Aujourd’hui, c’est surtout pour se serrer les coudes et partager le peu de nourriture que l’une d’entre elles trouve qu’elles sont amies.

Il m’a dit qu’on ne tombe pas enceinte la première fois

Asma, elle, n’est pourtant âgée que de 14 ans. Elle a quitté sa maison il y a juste six mois, parce qu’elle est tombée enceinte. Elle est d’ailleurs sur le point d’accoucher. Son père est employé dans une usine de métallurgie, produisant des serrures et sa mère travaille, à l’occasion, comme femme de ménage, histoire de participer au budget familial. Je n’ai pourtant couché qu’une seule fois avec mon petit ami et il m’avait dit qu’on ne tombe pas enceinte la première fois, dit-elle naïvement. Le visage émacié, les lèvres gercées, elle a de ces regards innocents qui suscitent la compassion, même chez les cœurs les plus secs. Elle tente de dissimuler son ventre derrière un tee-shirt, une chemise, un pull et une jaquette en nylon. Mais on a l’impression que ses efforts ne font que le rendre encore plus visible. Pourtant, elle n’habite pas très loin de ce même quartier Bouchentouf, selon ses dires. Sa mère lui rendrait visite de temps en temps. Cette dernière aurait peur des représailles de son père, s’il venait à apprendre que sa fille est enceinte. Alors, il est le seul à ne pas être au courant et à croire qu’elle est allée au village de sa mère, chez ses oncles. Asma reste donc dans le jardin la nuit et le jour, elle quitte illico la zone pour se rendre vers d’autres endroits de la ville où elle passerait presque inaperçue n’eut été son état de grossesse. Mais que fera-t-elle de son enfant, une fois qu’elle aura accouché ? Et avant cela, où accouchera-t-elle ? Il ne lui reste pratiquement plus qu’un mois, puisqu’elle a quitté la maison à son troisième mois de grossesse. Toutefois, ce sont des questions qu’elle ne se pose pas, ou bien qu’elle a cessé de se poser. Sans doute, a-t-elle déjà trouvé la réponse. Car, dans son regard, on sent qu’elle compte bien abandonner son enfant quelque part dans une ruelle de Casablanca, comme l’ont fait des dizaines de filles avant elle et comme feront encore des centaines après elle.

Bonne à huit ans et convoitée par les « maîtres »

L’histoire que raconte Asma fait sourire Chaïbia, la plus grande d’entre toutes. Ses 17 ans lui donnent un droit d’aînesse naturel sur le reste de la bande, mais elle ne se fait pas obéir par tout le monde. Chaïbia est venue de Settat pour travailler comme bonne, elle n’avait alors que 8 ans. Elle n’a jamais touché un seul sou des 500 dirhams qu’elle gagnait. Ce sont ses parents qui les recevaient directement par l’intermédiaire d’une dame qui l’avait placée chez une famille au boulevard 2 mars. Mais apparemment, les deux fils de la maîtresse de maison ont toujours eu un œil sur elle. Dès qu’ils ont vu pousser ses seins, les harcèlements ont commencé. Le plus âgé qui a 25 ans a commencé et le cadet qui en avait 18 lui a emboîté le pas. Au début, elle ne savait quelle attitude adopter, alors elle s’est laissé faire. Mais à l’âge de 14 ans, elle s’est décidée à se défendre. Alors que le plus âgé lui faisait des avances dans la cuisine, elle s’est saisie d’un manche à balai et lui a fracassé le crâne. Le violeur s’en est tirée avec cinq points de suture et Chaïbia a été purement et simplement remerciée, au passage elle a même été menacée de plainte à la police. Depuis trois ans donc, elle est dehors, tantôt dormant dans la rue, tantôt se faisant héberger pendant un certain temps par un homme qui veut avoir des faveurs sexuelles. Elle ne pense pas une seule fois retourner chez elle. De toutes les manières, je ne pourrait jamais trouver de mari, parce que je ne suis plus vierge et mes parents me jetteront à la porte s’ils l’apprennent. Donc il ne me reste plus qu’à mener cette vie, dit-elle. Quand elles ne se prostituent pas, elles sont au centre des petits trafics du quartier. L’une revend du haschich qu’elle a appris à couper au sucre pour se faire le plus de bénéfice. L’autre se procure quelques karkoubi (pilules psychotropes) qu’elle refourgue aux autres pour qu’elles oublient le temps d’une nuit leur misère.

Les filles de bonne famille aussi !

Asma, Chaïbia ou Bouchra sont issues de familles modestes, toutes les fugueuses ne sont pas dans leur cas, pour autant. En effet, certaines fugueuses sont de bonne famille avec une éducation et des études quelquefois jusqu’au bac ou au delà. Les destins de ces dernières ne seront jamais les mêmes. Elles réussissent souvent à prendre un appartement qu’elles louent seules ou avec des amies, grâce notamment à l’argent qu’elles ont pu se procurer. Cependant, pour continuer à mener le train de vie auquel elles se sont habituées, elles sont obligées de gagner de l’argent. Elles s’orientent petit à petit vers des réseaux de prostitution. C’est le cas de Fifi, Fatima, de son vrai nom. Son père est professeur à l’université Hassan II de Rabat et sa mère est secrétaire de direction dans une grande entreprise de la capitale. Mais depuis deux ans, elle s’est disputée avec son père et a choisi de venir s’installer à Casablanca. Elle loue un appartement avec deux autres filles qui travaillent dans un call center. Mais, malgré son bon niveau de français, elle n’a pas pu trouver un emploi comme elle le pensait. Alors, elle passe ses nuits dans les boîtes de nuit de Casablanca. Ses sorties nocturnes lui permettent de mener la belle vie, grâce notamment à ce que lui donnent ses amis d’une rencontre. Telle est la vie de ces pauvres créatures, si jeunes et déjà promises à la débauche !

Hanane Hachimi
Le reporter

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