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Les torturés de Marrakech

L’affaire du vol du palais royal de Marrakech n’a pas fini de livrer ses secrets. Si la justice a remis son verdict en décembre dernier en condamnant les accusés à différentes peines de prison, les familles des inculpés, quant à elles, sont décidées à exposer leurs doléances.
Du courage, il en fallait pour ces familles, en majorité démunies, soumises à toutes formes d’intimidation. Du courage et beaucoup de conviction.
Après avoir été sauvagement torturés pendant plusieurs jours au commissariat de Jemaâ Lfna, les inculpés, devenus coupables aux yeux de la loi, s’estiment doublement lésés.
Ils exigent que leurs tortionnaires soient poursuivis et leur dignité restaurée.
Les témoignages de ces employés de Dar Al Makhzen qui, en majorité, ont intégré la demeure du roi à un âge précoce, sont accablants. Entre le 22 août dernier, date d’incarcération du principal inculpé jusqu’à la comparution des accusés devant le juge d’instruction le 5 septembre, le commissariat de Jamaâ Lfna a été un espace de torture d’une extrême violence.
Un derb Moulay Cherif des temps modernes comme le qualifie My Ahmed, le frère de My Driss Snineh qui a écopé de trois ans ferme.
Et c’est la Brigade spéciale de la Police judiciaire, dépêchée spécialement de Rabat pour mener l’enquête avec la complicité des agents locaux, qui a été derrière ce scandale.
Les récits de ceux qui sont passés par ce commissariat dévoilent une police criminelle bafouant les principes élémentaires des droits de l’Homme.

Excès de zèle et sévices
L’affaire du vol du palais royal de Marrakech débute par une lettre envoyée le 22 août dernier au conservateur André Germain par le lieutenant-colonel Taleb Mehdi, officier intendant du palais royal.
Dans cette missive, M. Taleb fait état de la disparition de matériel dans un magasin du palais.
Il s’agirait d’objets de valeur, de meubles, de verres, de carafes en cristal, de couverts de porcelaine et d’argenterie. Il ajoutera que « comme il a été signalé plusieurs fois, l’auteur présumé n’était autre que M. Driss Snineh ».
Il demandera alors au conservateur de « procéder à sa relève immédiate ». En effet, l’intendant a adressé à plusieurs reprises des requêtes pour écarter son adjoint qu’il jugera tour à tour comme « incontrôlable », « ne méritant pas la confiance » et « désobéissant ».
Cette lettre sera transmise par le conservateur aux services de police qui procéderont immédiatement à l’enquête. « Je me rappelle encore de cette triste journée du lundi 22 août.
Vers le coup de 13h00, cinq policiers en civil pénétrent à l’intérieur de la maison. Ils procèdent à une fouille minutieuse, confisquent des verres ordinaires puis emmènent mon frère avec eux. Ils nous assurent qu’il sera de retour la journée même. Ce qui va s’avérer faux », raconte, la mine sombre, My Abdellatif, la quarantaine, frère de l’inculpé et habitant encore dans la demeure de ses parents.
My Driss ne sera de retour que trois jours plus tard, dans un état lamentable. « Il n’avait plus son dentier et avait des traces au niveau des poignets et des genoux. Il avait l’air très inquiet et demandait des nouvelles de ses frères et de ses enfants.
Plus tard, on allait apprendre que les policiers avaient bidoullé des sons, avec nos voix dessus, en train de subir des tortures », ajoute son autre frère My Ahmed. Une horrible torture psychologique… Mais sa libération sera de courte durée. Deux jours plus tard, il est de nouveau incarcéré pour subir les sévices des policiers.
D’ailleurs, il ne sera pas le seul. Hartit Mohamed, la cinquantaine passée, ne parvient pas encore à oublier ces longues journées de torture, dans ce qu’il nomme maintenant le commissariat-boucherie de Jamaâ Lfna.
Ce père de six enfants, chauffeur de son état, a passé plus de 24 ans à Dar Al Makhzen. « Les policiers n’y sont pas allés de main morte. Dès que j’ai nié tout rapport avec les faits que l’on me reprochait, j’ai subi les pires des tortures. A mon arrivée, d’autres collègues étaient déjà incarcérés dont le principal inculpé, My Driss Snineh.
Je l’ai trouvé totalement nu, allongé par terre et dans un état déplorable. A première vue, je ne l’ai pas du tout reconnu. Il était l’objet des exactions les plus extrêmes : on le maintenait suspendu de 15h00 jusqu’à 5h00 du matin », raconte-t-il, les larmes aux yeux. Interrogé sur les différentes techniques de torture, le quinquagénaire se montre exhaustif.
Ses propos donnent froid dans le dos : « On m’a suspendu par les mains et les genoux, les mains et les pieds ligotés.
Les yeux bandés, je ne pouvais même pas reconnaître celui qui me frappait et m’injuriait. Il y a aussi la torture par le biais de l’eau : on te bouche le nez puis on commence à déverser de grandes quantités d’eau dans la bouche. J’avais l’impression que j’allais y passer. Ils déversaient sur nous de l’eau de javel. Et l’on passait la nuit par terre, sur des flaques d’eau et sans couvertures.
Ils nous couvraient plutôt d’insultes. On n’avait aucun contact avec nos familles qui étaient interdites de visite.
Et cela dura du 27 août au 5 septembre,. Le jour où l’on nous rédigea les rapports ».

Un nouveau Derb Moulay Cherif ?
A tous ces employés, on demandait « d’enfoncer » My Driss Snineh. Condition sine qua non pour échapper à la torture.
« Personnellement, les policiers m’ont demandé de témoigner contre My Driss pour bénéficier de la liberté. Chose que j’ai refusée puisque je n’ai jamais rien constaté de malhonnête chez cet homme. Je ne pouvais pas faire un faux témoignage », ajoute M. Hartit.
Les mêmes propos sont partagés par Cheguraoui Abdelaziz.
Agé de 56 ans et père de trois enfants, il a travaillé à Dar Al Makhzen depuis 1982 comme responsable des chauffeurs.
Le 29 août, il a été sommé de venir au commissariat en compagnie de neuf autres chauffeurs. « L’interrogateur en chef, Abdelaziz Izzou, m’a demandé de lui dire tout ce qui se passait à l’intérieur du palais.
Je lui ai expliqué que je n’étais pas en mesure de savoir ce qui se passait à l’intérieur des magasins. Il m’a répondu que je devais dire la vérité sinon j’allais prendre une raclée. Il répétait qu’il était là pour en finir avec nous. Et qu’il se foutait de nos vies. Il a ensuite demandé à un de ses subordonnés de procéder à une séance de suspension », se rappelle-t-il. Son histoire dans ce commissariat de la honte, il la raconte la voix tremblante.
« Ils m’ont emmené dans un bureau. Le parterre était inondé d’eau. J’avais une peur bleue et je me demandais bien ce que le sort me réservait. Quatre agents m’ont sommé de m’asseoir.
On m’a bandé les yeux et ligoté les mains. Puis on m’a suspendu entre deux tables. On commençait alors à me faire ingurgiter de l’eau.
Je pensais que j’allais mourir. Je me démenais de toutes mes forces. C’était peine perdue.
Ceci a été le lot quotidien de tous ceux qui ont été détenus dans le cadre de cette affaire. Ils nous torturaient chaque jour et à tour de rôle. Et ce jusqu’à cinq heures du matin. Une troupe de gnaoua était stationnée derrière le commissariat.
Ils jouaient sans arrêt jusqu’à deux heures du matin pour que personne de l’extérieur ne soupçonne ce qui se passait.
Pour ce qui est de Hassan Zoubaïri qui a trouvé la mort dans le commissariat, je l’ai aperçu une seule fois, tout trempé d’eau. Nous avons tous subi ce genre de sévices.
On aurait pu subir le même sort que Hassan ». Hassan Zoubaïri est mort à l’intérieur du commissariat de police de Jamaâ Lfna le 3 septembre. Curieusement, le rapport d’expertise médicale conclura à un décès en rapport avec un tableau d’asphyxique sans signes extérieurs de violence.

Le Roi interpellé…
Dahi Abderahmane, 54 ans, père de deux enfants, 23 ans de service dans le cadre de l’entraide nationale avec un salaire de 1400 DH/mois, a, lui, été interpellé le 26 du mois d’août. « Pendant les cinq jours que j’ai passés au commissariat, ma femme et mes enfants ne savaient rien de moi. Sur place, l’enquêteur m’a demandé directement d’impliquer My Driss. Chose que j’ai refusée car je n’avais rien à raconter là-dessus.
Ils se sont montrés insistants, à coups de poing et d’insultes. Ils ont menacé de me faire subir des sévices, beaucoup plus qu’ils n’en ont infligé à My Driss.
J’ai juré que je ne savais rien du tout. Ils m’ont mis à l’écart, mais j’étais témoin de la torture qu’ils faisaient subir aux autres. A la fin, ils m’ont contraint à signer le P.V sans que je prenne connaissance de son contenu », raconte-t-il, difficilement. Parmi les personnes entendues par la police figurent le conservateur et l’officier intendant.
M. Germain ne s’est pas aventuré à indiquer les employés coupables de ces vols. Quant au colonel Talbi, il va soupçonner M. Snineh sans apporter de preuves palpables.
Dans son rapport final, le commissaire de la police régionale indiquera « la position négative et l’absence totale de tout contrôle de la part de Mehdi Talbi ». Avant d’ajouter : « le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a failli à ses obligations ».
Les P.V rédigés, les accusés vont comparaître devant le juge d’instruction le 5 septembre.
Ils sont par la suite transférés à la prison en attendant le procès. « En prison, les larmes ne m’ont pas quitté. Car il s’agit d’une injustice flagrante. Et je ne suis pas le seul.
Tous les camarades étaient dans l’effondrement total devant cette hogra. Ce que je demande, c’est que le roi soit au courant de l’injustice quenous avons subie.
C’est le seul moyen pour faire éclater la vérité au grand jour », insiste M. Cheguraoui

Une plainte contre les tortionnaires
Les sentences tombent le 21 décembre dernier.
Un procès que les victimes et leurs familles jugent totalement arbitraire. « Au cours du procès, le juge a interpellé le colonel Talbi sur les motivations de sa plainte.
Il a répondu que c’est parce que My Driss ne le respectait pas et qu’il n’avait plus d’autorité sur lui.
Quant au vol, objet de sa plainte, l’officier de matériel n’a, à aucun moment, affirmé avoir vu le magasinier dérober des marchandises des dépôts.
Mieux encore, les objets saisis lors des perquisitions se limitent à une table, un petit chauffage électrique, une lampe de chevet, des objets insignifiants qui n’ont pas été du tout pris du palais. Et c’est sous l’effet de la torture que mon frère leur a indiqué ces objets pour avoir un instant de répit. Quand on l’a interpellé là-dessus, il nous a dit que dans ces conditions inhumaines, il était prêt à leur dire que même la maison des parents, il l’avait volée au palais », ironise My Ahmed, frère du principal inculpé.
Pour ces ex-employés du palais royal qui n’ont jamais eu auparavant de démêlés avec la justice, la vie s’est arrêtée le jour où ils ont mis le pied dans le commissariat de Jamaâ Lfna. Sans ressources, ils vivent dans la précarité. Eux et leurs enfants.
Même mouton qu’ils reçoivent traditionnellement le jour de l’Aïd leur a été refusé cette année.
La famille de Snineh a déposé une plainte auprès du procureur de la Cour d’appel pour que les policiers qui ont mené l’enquête du vol du palais soient entendus et poursuivis pour torture et atteinte à l’intégrité corporelle de leur parent.
Et pour que la vérité éclate au grand jour.

Lejournal.

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