Les prisons s’ouvrent au théâtre

Le réalisateur explique qu’il s’est basé «sur le discours, prononcé par S.M. Mohamed VI le 18 mai 2005, annonçant l’initiative nationale pour le développement humain (INDH).

Nous avons considéré que comme détenus nous faisons partie de la société. Nous nous sommes donc sentis tenus de participer comme nous le pouvons à cette nouvelle dynamique qui anime notre pays.»

Profitant de la politique d’humanisation du milieu carcéral, les détenus ont pu révéler leurs talents multiples dans toutes sortes de disciplines artistiques ou sportives. Cette pièce est l’une des facettes du changement profond de la philosophie de la détention, qui est passée de la répression pure et simple à une approche éducative qui va dans le sens de la réinsertion sociale.

Exposant sa démarche, Abdel Majid Bensouda relate l’effort qui a précédé l’écriture et la réalisation : «Après une étude approfondie du discours, j’ai imaginé cet élan de changement sous forme d’une gare où des personnages attendent, le train. La gare est le prétexte pour étaler les problèmes du quotidien, que ce soit en milieu pénitencier ou à l’extérieur. Le premier train du développement, nous l’avons raté, c’est celui du monde industrialisé.

Le second, peu de pays l’ont attrapé (les dragons asiatiques par exemple). Le troisième, c’est cette chance unique que nous avons d’œuvrer pour le changement de notre pays, à tous les niveaux, malgré le fait que certaines mentalités peinent à s’adapter à la nouvelle donne… J’ai tenu à exprimer, avec le courage nécessaire, ce que la majeure partie des Marocains pensent de la vie politique dans notre pays.»

A voir le niveau de la représentation, les pensionnaires de Oukacha, même s’ils ne sont que des amateurs, n’a rien à envier aux performances d’acteurs aguerris. La franchise avec laquelle ils décrient les maux de notre société, ceux de notre sphère politique, fait presque oublier au public qu’il se trouve dans un milieu carcéral.

A ce propos, Hayat Al Idrissi, grande star de la chanson ayant bénévolement participé à cette pièce par des chansons en rapport étroit avec le thème traité, affirme que : «J’ai toujours eu un lien étroit avec le milieu carcéral, j’ai entre autres animé plusieurs soirée dans plusieurs centres de détention, mais lorsque j’ai assisté aux répétition de cette pièce, j’ai voulu y apporter quelques chansons afin de montrer que la prison ne fait pas des pensionnaires des sous-hommes ou des intouchables, mais bel et bien des citoyens qui ont tous les droits que nous partageons tous.

Nous, en tant qu’artistes, portons une noble mission qui touche toutes les catégories sociales. J’ai eu le plaisir de collaborer avec cette troupe qui travaille avec un sérieux et une franchise exemplaires, qui émanent de leur vécu et de leur ambition certaine de changer leurs conditions et celle de la société de manière plus générale.»

Parmi l’assistance, de nombreuses figures du monde des arts, du sport et de la société civile ont répondu présent. Mohcine Badaoui, jeune cinéaste et acteur, affirme qu’il est «fier de voir que nous avons des potentialités artistiques de ce niveau en prison alors que d’autres jeunes dans la vie civile se cachent derrière le manque de moyens pour justifier leur incapacité à créer. Les détenus, avec peu de moyens et beaucoup de travail et de bonne volonté, donnent l’exemple par des initiatives comme celle-ci.

En tant qu’artiste, je dis que j’ai vu une œuvre de qualité, et des acteurs qui trouveraient aisément leur place dans le milieu artistique. Un grand bravo pour cette troupe, et ceux qui ont facilité la réalisation de cette pièce…»

Lorsque les cris d’espoir proviennent des prisons, lorsque les détenus dépassent leur condition pour créer du sens, lorsqu’un responsable du pénitencier clame «qu’il n’y a aucune limitation à la liberté de création, même en prison !», nous pouvons croire que les vents du changement vont bon train pour donner un visage nouveau à notre pays.

Mustapha Bourakkadi

LE MATIN

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