Les pitbulls, ces chiens gladiateurs qui rapportent gros

A l’intérieur du marché, les vendeurs occupent les rares zones d’ombre de la grande place. Seuls ou en petits groupes, ils scrutent les nouveaux venus en attendant le bon client. Leurs marchandises se tiennent tranquillement à leurs côtés. Caniches, chiens bergers, labradors ou dobermans sont mis à la vente. Mais les stars restent bien évidemment les pitbulls. La fourchette des prix est très large. Ce matin, certains chiens sont mis à la vente à 2.000 Dhs. Les moins chers sont les caniches. Malgré leur look très mignon, ils ne valent pas grande chose dans la bourse des prix. A peine 100 Dhs le chiot.

Abdellah, 27 ans, est là depuis presque deux heures. Après un an de «vie commune», il a enfin décidé de se débarrasser de Dolf, son labrador âgé de dix-huit mois. Pour son «lambrador», comme il le prononce, Abdellah demande 2.000 Dhs. «Mais, je peux l’écouler à 1.500 Dhs», indique-t-il. Motif de la vente, Abdellah désire renouer avec ses anciennes amours, les bergers allemands. Durant sa petite carrière d’amateur de chiens (6 ans), il en a possédé dix, dont six bergers allemands. Pour lui, c’est la race la plus intelligente. «Un berger allemand peut mémoriser jusqu’à 300 mots, alors qu’un pitbull par exemple, ne peut en apprendre qu’une dizaine», explique Abdellah.

L’amour de ce jeune de Deb Sultan pour la race canine a commencé il y a six ans, lorsque son frère aînée avait emmené un chien à la maison. «C’était le coup de foudre. Depuis, je n’ai plus arrêté», souligne Abdellah. Pour la nourriture, manque de moyens oblige, Dolf doit se contenter d’un seul repas par jour. Des restes de poulets et de riz de chez une rôtisserie du quartier. Cela lui coûte quand même cinq dirhams par jour, soit 150 Dhs par mois. Enorme, pour quelqu’un qui ne travaille pas. Seulement pour Abdellah «rien n’est trop cher pour Dolf». Et Dolf le lui rend très bien.

En effet, c’est grâce à ce dernier qu’Abdellah a déniché le premier job de sa vie. Maître chien. Avec un salaire de 2.300 Dhs le mois, il a travaillé avec des sociétés de sécurité, notamment au port de Casablanca et à la gare routière d’Ouled Ziane. Pour les besoins du travail, en plus du vaccin annuel, Dolf doit prendre sa douche quotidiennement. Pour se déplacer jusqu’au lieu de travail, les deux copains prennent le grand taxi.

Même si le chien est logé dans le coffre du véhicule, Abdellah est obligé de payer dix dirhams, cinq pour chacun. Contrairement à beaucoup d’autres jeunes, Abdellah entretient une relation très étroite avec ses «amis», comme il aime appeler ses chiens. Pas de combat, comme c’est la mode ces derniers temps, tient-il à préciser. Un principe qui ne fait pas l’unanimité pour les autres vendeurs du marché. Pour Driss, leur doyen avec 20 ans de métier, l’apparition des pitbulls a complètement révolutionné ce hobby et leurs combats ont ressuscité le commerce des chiens.

De plus en plus d’intéressés fréquentent les lieux en quête de ces petits monstres. Parfois, leurs prix peuvent atteindre des sommes conséquentes (10.000 Dhs pour les plus féroces). Driss affirme gagner sa vie uniquement grâce à ce commerce et à quelques séances de dressage, qu’il facture à certains clients. En moyenne, son revenu mensuel s’élève à 3.000 Dhs.

Driss vient d’appliquer du lubrifiant pour moteurs usagé sur le corps de son pitbull, nommé Afia. Selon lui, cette lotion sert de remède contre certaines maladies de la peau! Les poils des chiens sont plus sains et plus jolis après ce traitement pour le moins bizarroïde. Afia, a à peine un an. Mais, à en croire Driss, son tableau de chasse est prestigieux. Une dizaine de victoires et deux chiens tués. Les paris varient selon la réputation des chiens-gladiateurs. Des témoins avancent des sommes variant entre 100 et 2.000 Dhs. Nous avons essayé d’assister à un combat.

Mais, les jeunes qui nous ont donné rendez-vous dimanche à 20 heures au parc de l’Hermitage, l’une des arènes de combat pour chiens de Casablanca, nous ont posé un lapin. Selon des amateurs de ces rendez-vous que nous avons rencontré sur place, le parc est de moins en moins fréquentés par les parieurs. Les combats sont organisés sous d’autres cieux notamment aux quartiers Derb Soltane, Moulay Rachid et El Bernoussi. Certains parlent même de villas chics dans des quartiers huppés de la capitale économique.

Des origines bizarres !

Au souk des chiens, les commerçants ont leur langage, leurs techniques de ventes et leurs croyances. Aussi invraisemblables qu’elles soient, ils y croient dur comme fer et essayent énergiquement de vous en convaincre. A propos des origines du pitbull, deux versions existent. La première stipule que cette race est née du croisement d’un chien et d’un, tenez vous bien, crocodile !!! La deuxième parle d’un chien et d’une hyène. Après avoir été créée au Japon, la race a été sophistiquée aux Etats-Unis, avant d’arriver au Maroc en passant par la Suisse. (Allez savoir pourquoi ?).

Les chiens volés

Le marché aux chiens d’El Qréâa sert également à écouler des chiens volés. En effet, Adil, jeune casablancais, avait perdu son dalmatien il y a quelques mois. Après avoir déposé une plainte au commissariat, des agents lui ont conseillé d’aller chercher dans ce marché. Et à sa grande satisfaction, Adil a bel et bien trouvé son dalmatien entre les mais d’un groupe de jeunes qui essayaient de le vendre.

Des éléments de la police sont intervenus rapidement et Adil a pu récupérer son chien. Cette chance n’a pas été au rendez-vous pour Rachid, dont le berger allemand a été volé il y a deux jours, et que nous avons rencontré ce samedi matin au marché. Lui aussi a été conseillé par un ami d’effectuer des recherches auprès des commerçants de ce marché.

Mais, selon un habitué, ce genre de marchandise est très marginal. Il faut être dupe ou débutant pour essayer de vendre un chien volé ici. Le premier réflexe d’un propriétaire dont le chien a été volé est d’effectuer un tour ici, indique le vendeur.

Mohamed Akisra

LE MATIN

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