Accueil > Maroc > Les nuits du Ramadan aux urgences de Casablanca

Les nuits du Ramadan aux urgences de Casablanca

[img align=right]http://www.lematin.ma/journal/photos/20051022-b-Urgence.jpg[/img] Ils se retrouvent à gérer une multiplicité de cas dont la plupart sont liés au Ramadan lui-même, diabétiques qui défient la médecine, cardiaques qui se placent au-dessus des conseils… Mais, ils ont à faire face surtout aux excités du Ramadan.

Les disputes sont fréquentes. Il y a également les consommateurs d’hallucinogènes. Autres caractéristiques du travail de ces bénévoles, une concentration au moment du ftour, comme si les malades se donnaient rendez-vous.

Reportage aux services des urgences un soir de Ramadan.

Pendant le mois sacré, les urgentistes du CHU de Casablanca sont autant mobilisés que le reste de l’année.
Mais les souffrances et la douleur changent de nature. Paroxysme du jeûne au quotidien, elles expriment le stress moderne, l’invasion automobile, le fléau des drogues.

«Notre manière d’être pendant Ramadan par rapport aux années dernières ?», M. Eddaif, le responsable de la surveillance générale de l’hôpital Ibnou Rochd réfléchit à peine. Quelques secondes, pas pour retrouver la mémoire, mais pour être le plus précis possible… «Les médecins affrontent des cas spécifiques pendant cette période. Des pathologies, traumatologies… Il n’y a pas d’accident à cause de l’alcool, c’est plutôt les cas de disputes et les imprudences qui se présentent, les traumatismes thoraciques, les problèmes cardiaques, les intoxications, des accidents de ménage… Mais cette année, les médecins n’ont pas encore reçu beaucoup de cas urgents. C’est plutôt calme !».

Plutôt calme, l’entrée des urgences du CHU. Il est 17h30, presque une demi-heure avant la rupture du jeûne de ce quatorzième jour du mois sacré. Pas de patients, rien, niet… que des blouses blanches qui circulent. M. Eddaif nous présente à Dr Ouafaa Rabbai. Elle se montre curieuse pour la raison à laquelle nous sommes venus, mais rapidement, elle dégage un petit sourire et nous demande de l’accompagner. «Portez cette blouse blanche, elle vous sera utile pour circuler aisément dans les salles de service», il faut dire que les entrées sont contrôlées, pas n’importe qui peut se balader dans les urgences.

Dr Ouafaa est médecin interne, elle est spécialiste en médecine d’urgence et catastrophe, c’est pour cela qu’on l’accompagne vers la salle de «déchocage» où se trouvent deux patients. «Je n’ai que deux patients maintenant, le premier cas est une cardiopathie, il va être emmené au service concerné, le deuxième patient restera encore, il sortira après la rupture du jeûne», nous explique Dr Ouafaa.

Ce deuxième patient est assez âgé, il a l’air triste et fatigué, il a même du mal à respirer correctement. Notre médecin lui pose quelques questions avant de passer à l’examen. L’homme souffre d’un problème pulmonaire…Il s’est senti mal à cause du jeûne. «Malgré sa maladie il continue à jeûner, c’est le cas de plusieurs personnes âgées qui viennent ici pendant Ramadan», commente Dr Ouafaa.

Fini l’examen, le médecin remplit un dossier rose concernant le patient. Pendant ce temps, la majorité des infirmiers circulent dans le couloir en attendant la rupture du jeûne, d’autres, dans la salle de «déchocage», s’occupent de changer les draps des lits.

A 18h, deux personnes souffrant de brûlures débarquent. «C’est des brûlures assez légères, ces patients vont passer à la salle des soins et sortiront juste après… rien de grave pour l’instant», nous informe un infirmier.

Le personnel se met à table, quant à nous, nous restons avec Dr Ouafaa. Indifférente, elle continue à prendre ses notes…Vous n’allez pas manger Docteur ? «Oui, juste un moment…en tous cas, j’ai l’habitude de ne pas rompre mon jeûne à temps, je reçois souvent des cas d’urgence à cette heure-ci. Aujourd’hui, il n’y a pas de malades qui se manifestent, je vais rompre mon jeûne tranquillement, on y va ?», répond-t-elle.
Dr Ouafaa nous conduit vers le foyer, un couloir qui réunit plusieurs chambres de repos pour les médecins, chacun selon sa spécialité : chirurgie, réanimation, radiographie, soins, etc.

Notre médecin met en marche une petite cafetière électrique, elle nous invite à prendre un café, un petit paquet de biscuit… et hop ! Elle s’installe sur son lit, le temps de se reposer avant de commencer une grande galère. «Je pense que c’est un jour assez calme. On galère moins, puisqu’il n’y a pas d’état d’ivresse…

Il y a plutôt des imprudences. On remarque notamment une recrudescence des complications du diabète, de l’hypoglycémie de l’hypertension artérielle et des cardiopathies, sans oublier le taux des violences. Ce qui nous stresse le plus est le fait d’avoir une nuit de garde par quatre jours au lieu de cinq… Le rythme s’élève, c’est fatiguant. J’ai commencé la garde à 15h et je reste encore jusqu’à 8h30 du matin». Dr Ouafaa, est le premier médecin interne qui s’est spécialisé en médecine d’urgence et de catastrophe au Maroc, celle-ci a été lancée le 7 novembre 2002. «C’est le début de ma troisième année ici. En 2001, j’avais achevé mes sept ans et il fallait que je choisisse une spécialité, j’ai fait pédiatrie pendant un an et demi, avec quatre stages, mais j’ai opté ensuite pour les urgences… Actuellement, nous sommes sept médecins d’urgentologie à Casa, je pense qu’il y a presque quatre à Rabat… Quant à l’équipement, on a tout se qu’il faut, les temps ont changé, les équipes sont renforcées. Nous avons le matériel nécessaire, et encore, nous n’avons pas tout utilisé», assure Dr Ouafaa. Il faut dire que la médecine d’urgence est une science précise, il faut savoir évaluer rapidement le risque du patient, justifier la conduite à tenir, assurer la prise en charge… Dr Ouafaa semble être vraiment passionnée par ce qu’elle fait…Il lui reste encore quelques minutes de repos avant de se remettre à l’action, «On m’a annoncé qu’il y a un blessé qui va venir après le «ftour», c’est un maçon qui est tombé du deuxième étage, il souffre d’un traumatisme thoracique…».

Nous laissons Dr Ouafaa se reposer et on glisse dans les couloirs vers le salon des médecins, la sérénité règne toujours. Dr Imad Tazi, médecin interne au service de chirurgie, est allongé sur un grand fauteuil. La télé allumée, il regarde une chaîne numérique. Selon lui, «le service médecine a plus de travail que celui de la chirurgie».

Progressivement, le salon se remplit de jeunes médecins internes. Dr Fatima Zahara Dahmi fait son apparition, elle a rompu le jeûne au foyer des médecins, elle s’adresse à Dr Tazi «Ecoutes Imad, tu peux aller au foyer ; je t’appellerai en cas de catastrophe». Le mot semble énorme, mais c’est le jargon des médecins d’urgences !

Dr Fatima Zahara se rappelle du dernier cas d’urgences qu’elle a traité «Oh! Ce mercredi, j’étais de garde quand j’ai reçue des accidentés. Cinq blessés à la rupture du jeûne… Bonjour la galère ! Et je ne te raconte pas les cas d’intoxications et les maux de ventre après le ftour».

Dr Faissal arrive au salon, il se plie sur un fauteuil et poursuit la discussion avec une autre histoire «Vendredi dernier, c’était un policier de la circulation qui venait de prendre son service… il a été heurté par une voiture qu’il a voulu arrêter, on l’a ramené aux urgences à l’heure du ftour… Mais, malgré tout cela, notre rythme change pendant Ramadan, surtout cette année, nous affrontons moins de cas urgents. Nous avons plus d’agitation une heure avant le ftour et juste après, il y a beaucoup de va-et-vient».

19h, un mouvement bruyant provient de l’entrée. «Chacun sait que l’activité peut reprendre n’importe quand. C’est mystérieux, les entrées se font toujours d’un coup. Il peut y avoir une longue période calme, parfois on ne trouve rien à faire, c’est ennuyeux, et puis, soudainement, il y a dix personnes qui arriveront en même temps, explique Dr Ouafaa. C’est ce qui est excitant, le matin tu ne sais pas si ta journée sera calme ou agitée». Du côté de la salle de consultation, une petite vague de patients arrivent, avec des cas différents, malaise, brûlure, entorse, intoxication, une dame évanouie posée sur un lit de porte, des personnes âgées, des diabétiques, une femme souffrant de palpitations, une autre souffrant de nausées… «L’urgence est souvent mise en attente, reconnaît Dr Ouafaa. Toutes les personnes qui viennent sont en état d’urgence, mais nous devons établir une hiérarchie dans la gravité des cas».

C’est un aspect très technique : il faut examiner, évaluer, radiographier, tester, «déchoquer», il faut palper des bras, des mains, des pieds, des têtes, mais en Ramadan, c’est surtout des ventres !… Tout est organisé d’une manière très précise : dans le service d’accueil, chacun a un rôle prédéfini, les infirmiers se répartissent rapidement les tâches à chaque nouvelle intervention.
20h15, certains malades arrivent avec plusieurs personnes surexcitées… Cela fait réagir Dr Ouafaa, elle s’adresse au Major de service, Moustafa. «Libérez-moi l’entrée s’il vous plait, on a bien dit un accompagnant par patient !…. Les habitudes sont toujours les mêmes, dès qu’un malade arrive il ramène avec lui toute sa famille et même les voisins, tous veulent assister aux consultations et aux soins, ce n’est pas possible ! », nous confie-t-elle… Dr Ouafaa se calme et retourne à la salle de déchocage. Désormais, elle sera occupée avec le blessé (le maçon) souffrant de traumatisme thoracique.

Nous rejoignons alors Dr Fatima Zahra à la salle de consultation. Elle commence à examiner une première patiente, puis la deuxième… «C’est surtout des cas abdominaux qui s’accentuent pendant Ramadan et quelques cas chirurgicaux»… Dr Fatima Zahra semble être parfois sévère avec les patients, elle effectue ses consultations rapidement mais de manière efficace. Après quelques examens, elle se pose sur le bureau, elle a des maux de tête. «C’est rien. Les cas d’aujourd’hui sont plutôt mineurs par rapport à d’autres jours». Dr Fatima Zahra nous explique la raison pour laquelle elle devient sévère, ce n’est pas le Ramadan qui la rend ainsi? «Non ! Je me comporte ainsi parce que certains patients viennent avec des exigences qui n’ont aucun rapport avec leur état. Ils souffrent et veulent se faire examiner comme ils le désirent. Ils oublient que nous sommes des spécialistes et qu’il y a d’autres personnes qui attendent dehors notre aide… Peu de personnes sont patientes. Il faut calquer sa conduite en fonction de ça, essayer de rester neutre : sinon, dans un cas comme dans l’autre, ça peut dégénérer assez vite»…

Il est 21h30, le distributeur automatique verse le café à flots, les couloirs sont de plus en plus animés, les va-et-vient des médecins s’accentuent. Dr Faissal va chercher les résultats du scanner, la salle de chirurgie viscéral et Neuro-Chirurgie se remplit de patients en attente : «C’est la salle des avis, je veux dire, les avis des spécialistes. Ce sont des médecins spécialistes qu’on appelle des autres services, tout dépend des cas présents, ils arrivent dans quelques minutes», nous indique Moustafa, le major de service…

On passe revoir Dr Ouafaa à 22h, elle est toujours concentrée sur son intervention et doit soigner ensuite un asthmatique et une femme grièvement souffrante d’une insuffisance rénale, les infirmières s’occupent d’elle en attendant. Les heures se succèdent, les histoires aussi.

Plusieurs patients arrivent, d’autres partent après les soins. La nuit des urgentistes en Ramadan est composée principalement des cas de diabétiques, des asthmatiques, des maux de ventre, des perforations d’ulcère… «Mais aussi les personnes qui consomment du «Maâjoun», nous répond Moustafa, le major de service… Pendant Ramadan, plusieurs personnes prennent ce genre de drogue pour la première fois, ils commencent à halluciner et se rendent aux urgences ; certains commencent à imaginer qu’ils vont mourir…»

Par ailleurs, on reconnaît aussi plusieurs cas de violence pendant le mois sacré. Dans la salle des soins, deux jeunes garçons sont légèrement blessés à cause d’une bagarre. «Ce n’est pas si grave, ils ont quelques petites blessures c’est tout, il y a peu de personnes à soigner, réplique l’infirmier, je n’ai pas reçu beaucoup de cas de violence lourde, les urgences sont plutôt calmes par rapport à l’habitude» 23h45, la tension redescend soudainement. «Ça se calme au fur et à mesure. Heureusement, Ramadan nous épargne les alcoolos, les états d’ivresse et les accidents de la route sont souvent durs à traiter, on assiste même à des bagarres à la porte des urgences….», nous raconte Dr Faissal.

Les couloirs se vident très rapidement et le salon de repos des médecins se remplit. Nos médecins internes semblent garder le punch, Dr Youness Borass, un traumatologue, est installé devant la télé pendant que Dr Hansi Amina, de la régulation, révise quelques documents. En gardant le sourire, ils nous expliquent qu’il «n’y a pas assez d’agitation… Normalement, à cette heure-ci, nous n’avons pas le temps de nous asseoir devant la télé»… On aperçoit Dr Ouafaa se diriger vers sa chambre… Elle a l’air fatiguée, mais elle dit que «c’est rien du tout».

Elle va prendre un petit moment de repos jusqu’à ce qu’on l’appelle pour une nouvelle urgence. Pour l’instant, sa seule conclusion de cette soirée est qu’elle est «calme!», tout comme le reste du personnel. «Tout va bien aujourd’hui, depuis 18h, nous n’avons reçu que 34 patients… la nuit de Ramadan est encore longue, il faut attendre jusqu’au s’hour!», nous annonce-t-on au service d’accueil. Il est temps de partir, de quitter un instant ce livre ouvert, vivant, émouvant. Ici, au long de l’année, tout arrive, tout repart.

La mort comme la vie entrent ici, avec leur cortège de malédictions et d’infortunes, avec leurs surprises et leur bonheur aussi. Ici, ce sont les urgences, le personnel de garde effectue une pause, mais il reste en veille, jusqu’à ce que le jour se lève. C’est une autre journée qui débute.
source:lematin.ma

Commentaires

Voir aussi

Maroc : un imam pédophile

@360   Une peine de prison a été prononcée par la Cour d’appel de Tanger à …