Essaouira : Le décollage amorcé

Une sorte de parlement régional où la parole a fusé, les interventions se sont succédé pour donner lieu à un véritable échange riche, intense et inédit.

Aux côtés de André Azoulay et Abdeslam Bikrat, gouverneur de la province d’Essaouira, se tenaient Driss Benhima, président de Royal Air Maroc, Abdelali Doumou, président du Conseil régional de Marrakech-Tensift-Al Haouz, Miloud Châabi, président du groupe Inna, Asmâa Châabi, président du Conseil municipal, M. Lahbil, directeur général de l’Erac et plusieurs autres personnalités.

A l’ouverture des débats, André Azoulay a annoncé, non sans émotion, qu’une délégation ministérielle conduite par le Premier ministre Driss Jettou, comprenant entres autres MM. Oualalou, Ghellab, Hjira et Harouchi avait pris l’avion de Rabat, ce samedi matin, en direction d’Essaouira et que dix minutes plus tard, l’appareil était contraint de faire demi tour pour cause d’intempéries. «On le regrette tous du fond de nos cœurs, mais, Dieu merci, dans ces conditions, nous sommes heureux de savoir qu’ils vont bien».

Le président de l’Association Essaouira-Mogador a ensuite ouvert les travaux d’une journée qui devait se révéler six heures plus tard comme un moment de communion intellectuelle forte. «Le Premier ministre devait annoncer d’importantes nouvelles, mais ce n’est que partie remise».

Car, comme sa directrice de communication nous le confirme par sa présence ici, il viendra bientôt à Essaouira». Et d’enchaîner : « Je devais dire des choses en sa présence, je vais donc les dire ici… Sur Hautes instructions royales, il a accordé une attention particulière à la relance de la province et a suivi le processus de mise en œuvre des projets, annoncés auparavant, à l’occasion de la visite à Essaouira, en 2004, de S.M. le Roi ; ensuite lors des travaux de la Ve édition de l’Université».

André Azoulay, qui intervenait comme membre de la société civile, défenseur acharné des intérêts de la province a tout de suite annoncé la couleur : «Mon but, c’était de donner mauvaise conscience aux ministres, car un certain nombre d’engagements ont été, certes, tenus et respectés mais d’autres attendent encore de l’être. Mon propos, c’est de les rappeler». «Il existe, a-t-il ajouté, une série de priorités qui conditionnent le développement de la ville. La première concerne la contrainte de l’enclavement d’Essaouira. Les choses ont changé, il est vrai, la ville est moins isolée qu’il y a quelques années, plus accessible. Mais il faudra faire plus».

Il faudra faire plus, en effet ! Le désenclavement s’impose au niveau d’une province aussi riche et recluse. Le président de l’Association Essaouira-Mogador a annoncé que le projet de route à double voie devant relier Essaouira à Marrakech par la boucle de Chichaoua voit démarrer ses travaux au grand bonheur de tous. Une importante économie de temps sera réalisée, soit 50 minutes seulement pour relier en voiture Marrakech et Essaouira au lieu de 2 heures à 3 heures.

Parmi les autres «doléances» reformulées par André Azoulay qui, en la circonstance, s’est fait fort de livrer un plaidoyer pro domo, il y a les infrastructures aéroportuaires. «Il faut doter Essaouira d’une nouvelle aérogare, nous aurons un aéroport international au cours du 1er trimestre de 2007, avec une piste élargie, allongée et la promesse a été tenue à ce niveau, puisqu’il a été réalisé en 18 mois».

Les bonnes nouvelles, celles de la double voie, de l’aéroport et d’autres projets étant annoncés, il en est venu ensuite au chapitre des attentes insatisfaites. Ne mâchant guère ses mots, il a rappelé «qu’il est un dossier qui nous meurtrit, celui de la partie nord de la médina, le mellah, qui autrefois incarnait l’ouverture, la rencontre et la coexistence, aujourd’hui dans une précarité avancée dont une partie est en ruine, la muraille à même l’océan, ravagée». Il faudra donc soumettre au bulldozer quelque 250 maisons, et «c’est une tranche de l’histoire qui s’ensevelit».

Sa relance s’impose, en effet, parce que ce «lieu de mémoire», c’est aussi un point nodal de la ville. Aux promesses non tenues, il a notamment cité le barrage au niveau de la baie d’Essaouira dont la première étude remonte, à vrai dire, à l’année 1960. «Nous sommes en 2006 et le barrage n’a pas encore vu le jour. Pourtant, il ne constitue pas un luxe, mais une nécessité de protection, hydrique, écologique et humaine».

Plaidoyer pour Mogador

Dans la foulée, André Azoulay regrette qu’un tel projet ne voie pas vite le jour, car il constitue un atout écologique pour la ville et pour la baie. Il y a, dit-il, plus de 100 barrages au Maroc, et celui-ci attend toujours. De même, déplore-t-il, le peu de cas que l’on fait d’une richesse inouïe, celle de la plage auquel le Pavillon bleu a décerné le tout premier trophée pour sa pureté, sa propreté et l’entretien. Il a ensuite abordé, avec la foi d’un avocat infatigable, un autre aspect que la ville d’Essaouira inscrit sur son fronton comme une singularité : la mise en valeur de la culture, à la fois comme identité et un atout générateur de richesses. «En 1991, nous avons été les pionniers pour ce qui est de la promotion de la culture comme facteur de développement. Nous avons créé des événements, comme le festival des Gnaouas qui célébrera, en juin prochain, son Xe anniversaire ; le Festival des Alizés, le Festival de la musique andalouse et le Festival des jeunes talents. Ces événements sont programmés tout au long de l’année et maintiennent la ville dans un état d’activité continue, ininterrompue».

L’orateur, tout à son enthousiasme, tempère aussi vite : «Ceci peut également être fragilisé, car Essaouira ne bénéfice, aussi scandaleux que cela puisse paraître, d’aucune infrastructure culturelle». Et de rappeler que l’année dernière, il a fallu improviser un chapiteau pour permettre à des jeunes de répéter et de se produire. Il faut donc une salle pour les jeunes, comme il faut aussi mettre l’accent, selon lui, sur la valorisation des produits touristiques de la ville, son artisanat unique au monde. Il a souligné que l’année 2006 enregistre un taux de visites supérieur à 22% alors que la moyenne nationale enregistre plutôt une baisse.

André Azoulay, au terme de son plaidoyer pour la province, arrive ensuite au point crucial : le transport aérien. C’est manifestement une interpellation qu’il lance à un Driss Benhima, aguerri, apprêté à toute épreuve. Selon lui, la ville qui décolle, avec son nouveau statut touristique, ses nouveaux hôtels, ses infrastructures, qui renforce sa vocation internationale devra bénéficier de plus d’attention de la part de Royal Air Maroc. «Il faut élargir le périmètre aérien d’Essaouira, c’est faisable, légitime et rentable. C’est regrettable que les gens à Paris ne sachent pas qu’il existe un vol de Paris à Essaouira». Comme initiative porteuse, unique, il a annoncé le lancement prochain, en collaboration avec le groupe espagnol Bip-Bip et Méditel, d’un projet grandiose, portant sur l’équipement de PC et la connexion de quelque 10.000 familles sur le système Internet via Wimax et wi-fi.

Dimesions multiples

Le programme d’équipement coûte quelque 90 millions de dirhams, comportant portail, logiciel, plans d’apprentissage de langues, de formation professionnelle et un haut débit. Une autre initiative, prise en charge par Planète finance internationale et sa filiale Maroc, en collaboration étroite avec le groupe Accor, qui réaliseront deux vastes projets : le premier concernant «l’insertion professionnelle des jeunes déscolarisés», le deuxième «la microfinance et le tourisme rural». Le premier mobilisera quelque 250 000 Dhs par an et l’autre 350.000 Dhs. Il s’agit d’alphabétiser et de former des femmes de coopératives d’huile d’Argane. Ensuite de mettre en œuvre un autre projet d’insertion professionnelle pour 100 jeunes en abandon de scolarité et en situation précaire. Ce projet, comme nous l’a expliqué Marc Thépot, directeur général d’Accor Maroc et son initiateur, démarrera en janvier 2007 et sera finalisé sur deux ans. Il vise à valoriser à travers le micro-crédit, le commerce, la mécanique, la confection, l’artisanat, la couture, la broderie, la menuiserie et la réparation des portables.

Driss Benhima, après un brillant exposé sur le développement régional où il a mis à profit sa propre expérience du Nord en sa qualité d’ancien directeur de l’Agence du Nord, a pris la salle de court, en annonçant, sous un feu nourri d’applaudissements, que désormais Royal Maroc va ajouter deux vols supplémentaires aux deux existants entre Casablanca et Essaouira ; ensuite deux autres vols supplémentaires entre Paris et Essaouira à partir d’avril prochain. Mieux : le vol entre Paris et Essaouira deviendra quotidien dès que l’hôtel Atlas Mogador, inauguré par la RAM et dont l’ouverture est prévue fin 2007. Driss Benhima, qui s’engage à participer au développement d’Essaouira, a aussi confirmé que sa compagnie participera à la campagne de communication de la ville. L’intervention du président de la RAM a donné du baume au cœur à une assemblée attentive à de nouvelles encourageantes. Le problème du transport aérien, qui est le nerf de la guerre, est d’autant plus réglé avec la solennité qui s’impose, qu’il participera au désenclavement de la province de manière décisive.

Le gouverneur de la province, Abdeslam Bikrat, lui, s’est inscrit dans une démarche de continuité en rappelant que lors de la visite de S.M. le Roi Mohammed VI à Essaouira en février 2004, qui a donné une nouvelle et forte impulsion à la ville, une série de grands projets avait été retenus. Et pour n’en citer que celui de la construction du réseau routier, quelque 150 kilomètres de routes interurbaines ont été réalisés en 2 ans, plutôt que 3 ans comme prévu au départ. Ce raccordement désenclave les communes les unes par rapport aux autres, les rapproche et les insère dans le mouvement de développement qui est mis en oeuvre. Elles sont désormais liées au réseau routier. Le gouverneur a indiqué que pour le développement de la ville, 1 milliard de dirhams ont été mobilisés, ce qui porte à conséquence et, surtout, démontre la sollicitude de S.M. le Roi Mohammed VI envers la province et ses habitants.

L’intervention de Abdelali Doumou, président de la région, a été axée essentiellement sur «une approche territorialiste», démontrant que l’habitude de dresser un «calendrier de doléances» est le point commun entre les provinces et qu’il convient d’y mettre fin, chacune préservant sa spécificité et revendiquant son développement propre. «Il faut synchroniser, ajoute-t-il, car faire la route de liaison sans abandonner l’eau ou l’aérien, c’est encore mieux.»

Essor balisé

Amyn Alami, président de la SAEMOG (Société d’aménagement Essaouira-Mogador), l’un des projets phares du Plan Azur, a annoncé que la nouvelle station, inscrite dans le vaste projet de relance du tourisme national à l’horizon 2010, comporte une dizaine d’hôtels, 3 golfs, des centaines de villas de haut standing. La station, qui a mobilisé le montant de 3 milliards de dirhams, sera inaugurée en juin 2008 et la première phase est déjà entamée. Les enjeux touristiques, selon lui, sont immenses et prometteurs. Outre le site, une activité multiforme y sera déployée avec, à la clé, un tourisme intelligent, la nature et la culture. Le nouveau cadre sera, également, une station technologique connectée au monde. Il a, en revanche, soulevé certaines problématiques qui rejoignent celles de l’ensemble des participants, à savoir le problème du barrage et de l’eau. Pour lui, il s’agit aussi de créer un pôle de développement, de favoriser un cercle vertueux avec l’objectif suprême de générer des milliers d’emplois, de former les jeunes tout en s’efforçant de préserver la nature.

Le directeur de l’ERAC, M. Lahbil, a présenté, au nom de son ministre, quelque 26 projets au niveau de la politique de l’Habitat. Quelque 16 projets étalés sur 127 hectares pour 1085 logements, mobilisant plus de 553 millions de dirhams ; les projets Tamousiga de 210 MDH, Argana de 100 MDH ; de l’urbanisation de Rimal Mogador (ex-douar Lâarabi) de 550 MDH, sans compter 6 projets ruraux d’un investissement de 182,69 millions de dirhams. Les chiffres donnent le vertige, mais ils sont à la mesure des enjeux urbanistiques. Comme l’a souligné, par ailleurs, Tawfiq Hjira, «le bilan pour Essaouira ne peut être que positif et bénéfique» car, en tout, 5.851 unités sont réalisées, soit 42% de la surface urbanisée de la ville. Il s’agit en définitive de projets structurants.

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Implication citoyenne

Le débat qui a suivi les interventions s’est caractérisé par un ton inédit, parce qu’il s’inspire de la sincérité et d’une rare franchise.

Un ton, comme on a dit, qui s’apparente à un débat d’une assemblée parlementaire où les habitants de la ville, dans leur diversité et leurs différences, ont posé des questions, interpellé les responsables sur des sujets de proximité, des préoccupations quotidiennes et concrètes.

Elles ont touché à la fois les problèmes de sport, d’encadrement professionnel, de la culture, de formation, de manque de moyens infrastructurels, de négligence en ce qui concerne la marginalisation du monde rural, bref la vision immédiate de l’avenir. Nul doute, qu’Essaouira connaît un mouvement de décollage, dont les habitants et les responsables sont conscients.

Encore faut-il pour les uns et les autres, notamment au niveau du gouvernement, que soit prise en considération cette marche impérieuse de la province.

Hassan Alaoui

LE MATIN

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